Le baiser

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Elle était encore perdue dans ses pensées lorsque Jean-François vint se placer derrière elle. Elle perçut son odeur, ce léger parfum floral qu'il portait sur lui depuis l'adolescence. Cette odeur ranima des désirs enfouis dans sa mémoire. Elle se tourna vers lui et sourit.

- Est-ce que tu vas bien, Avéline ? demanda-t-il, portant son regard vers l'extérieur où Serge et Violette regardaient les ruines de l'incendie. On n'a pas eu le temps de parler hier. Tu as l'air préoccupée.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise, JF ? Que je suis heureuse que mon père soit enfin mort après être si longtemps resté dans le coma, comme un légume oublié dans un tiroir du frigo ? Que je suis fière que Serge se retrouve tout seul dans cette grande maison alors qu'il est plus souvent à l'intérieur de sa tête ? Que le retour de Bérengère est un soulagement pour nous tous ? Tu as le choix.

Jean-François lui prit les mains et prit le temps de prendre une profonde inspiration avant de lui répondre.

- Tu as changé. Je ne retrouve plus la bouillonnante Avéline aux mille projets.

Elle rit : « Mon Dieu, JF, tu étais où ces dernières vingt-cinq, trente années ? Tu en as perdu des bouts, mon pauvre monsieur le curé. J'ai une famille, maintenant, un travail qui m'accapare beaucoup, un mari tout aussi occupé, et je vis à des centaines de kilomètres de mes origines. Et puis, je vieillis. »

- Pourquoi es-tu sur la défensive avec moi ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

Elle se détacha de son emprise. Elle fit quelques pas vers l'îlot de la cuisine afin de mettre un peu de distance entre elle et lui. Elle était encore bouleversée de cet accrochage avec Gill la veille. Et au cours de la matinée, bien que ce dernier ait manifesté un peu d'intérêt pour le drame de l'incendie, ils étaient restés sur leur position. Elle voulait rester avec son frère quelques jours de plus et lui, il voulait s'en retourner au plus vite à Toronto. Leur séparation n'a pas été des plus agréables et comme elle était habituée à régler ces différends rapidement, le temps n'arrangerait pas grand-chose, elle en avait bien peur. Retrouver Jean-François, avec ses yeux verts et son tendre regard, n'allait pas l'aider non plus.

Bien que leur relation ait été des plus platoniques, la complicité entre Avéline et Jean-François avait toujours été perçue comme un espoir de trouver dans les bras de l'un et de l'autre, un certain réconfort plus grand qu'une simple amitié. Ni l'un ni l'autre n'avait osé aborder le sujet.

Au début, lorsque Jean-François venait voir Serge, elle admirait sa grandeur d'âme, cette facilité qu'il avait de se rapprocher de son frère, comme un psychologue le ferait. Il montrait de l'empathie qui avait cimenté leur relation à tout jamais. Il parlait souvent avec Avéline, certes, mais le sujet tournait toujours autour de Serge pour qui il vouait un amour véritable. Elle aurait désiré qu'il porte davantage attention à elle, à ce qu'elle était en train de devenir, au cœur de son adolescence. Elle le savait décidé à poursuivre ses études en théologie et l'encourageait même à devenir prêtre si tel était son désir. Mais, elle gardait espoir qu'un jour, il la verrait telle qu'elle était : amoureuse.

Pourtant, elle ne lui déclara jamais cet amour secret, du moins de manière sérieuse. Il avait franchi toutes les étapes pour arriver à ses fins et il avait même célébré le mariage de Gill et elle sans le moindre indice d'inconfort. Elle se rappela avoir été chavirée de sentir de nouveau son eau de Cologne lors de cette cérémonie. Elle avait regardé Gill et pendant un bref instant, tout cet amour retenu vint lui rougir les joues.

- Tu n'as rien fait, excuse-moi, JF, dit-elle enfin en détachant son regard du sien.

- On se connait depuis toujours, Avéline. Je sais que quelque chose te tracasse. Si ce n'est pas moi qui en suis la cause, alors de quoi s'agit-il ? C'est à propos de Gill et toi ?

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant