Héritage (I)

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Charles Magnan, père, était un homme d'une droiture exceptionnelle. Issus d'une famille venue de France vers la fin des années 1700, ils s'établirent à Québec pour fonder une lignée d'hommes exerçant des professions libérales. Il n'est point besoin de dire que chacun des enfants mâles chez les Magnan devint des avocats, médecins et notaires qui avaient une réputation qui n'avait d'égal dans tout l'est du pays. Lorsque Charles junior vit le jour, il causa tout un émoi lorsqu'il ouvrit les yeux. Affecté par un strabisme monoculaire dans l'œil droit, on crut qu'il allait être condamné à faire un métier de moindre importance, du moins aux yeux de Charles sénior et Henriette, sa tendre épouse. L'enfant, en grandissant, ne manifesta aucun malaise dû à ce handicap qui dérangeait ceux et celles qui le voyaient avec ce regard bizarre. Il apprit à lire sans difficulté et bien qu'il fût au fait de ce défaut dans visage, entama des études en notariat où il obtint tous les honneurs.

Son père, lors de la collation des grades, avait fait la remarque aux personnes qui étaient venues le féliciter, que les personnes ayant des idées croches n'avaient qu'à bien se tenir, car son fils allait le voir venir plus facilement que n'importe quel autre diplômé de la salle.

- Père, je ne suis pas un avocat comme vous, mais un notaire! avait dit son fils, gêné qu'il mette encore de l'avant son handicap.

Peu de temps après avoir reçu son droit d'exercer, le jeune notaire avait rencontré une jeune fille venue de la petite municipalité de Kamouraska qui étudiait l'architecture à l'université Laval, à Québec. Ils tombèrent immédiatement amoureux et Charles décida qu'ils se marieraient au plus vite et qu'il irait s'établir dans ce beau coin de pays.

À cette époque, la région comptait déjà plus de notaires qu'elle pouvait en avoir. Il n'osa pas établir ses bureaux s'il n'avait pas une garantie de pouvoir se monter une clientèle assez rapidement. Il comptait rembourser l'argent que son père avait investi dans ses études dans les plus brefs délais, une autre tradition familiale qui nécessitait d'être vite en affaires pour éviter de stagner et voir dépérir la réputation des Magnan. Lourd héritage, s'il en fut un, que de se retrouver à la fin de la vingtaine à rembourser une somme plutôt élevée à un père froid et autoritaire. Il eut alors vent du décès du notaire de St-Aubert par le biais d'un échange de lettres avec un de ses professeurs en droit avec lequel il était resté en contact.

Trois semaines après son mariage, il fit connaissance avec la veuve du notaire Poitras et elle tomba sous le charme du jeune homme, acceptant du coup que la clientèle établie par son mari lui revienne sans hésitation.

Il fut donc rapidement en mesure de prendre sa carrière en main et entama l'une des plus belles périodes de sa vie, loin de la folie des grands centres où, par exemple, son frère Paul, avocat nouvellement établi à Montréal depuis cinq ans, passait ses journées à vivre dans un stress qui l'avait fait vieillir de dix ans en deux années de pratique.

La première fois où il avait rencontré Georges Éthier, il était accompagné de sa femme. Le fermier lui avait avoué que Thérèse s'inquiétait pour sa santé et désirait qu'ils rédigent chacun leur testament afin de s'assurer de laisser à leurs deux enfants ce qui leur revenait en droit. À l'époque, Avéline et Serge étaient mineurs, et si les deux parents mouraient avant qu'ils atteignent leur majorité, ils pourraient rencontrer des obstacles pour la succession, notamment la ferme et les avoirs de la famille.

Le sort voulut que ce ne fût pas la santé de Georges qui se détériora, mais celle de Thérèse. Elle mourut d'un cancer de l'estomac moins d'un an plus tard. La pauvre femme ne laissait que peu de chose à son mari, car elle était issue d'un milieu plus que modeste. Elle laissait les bijoux hérités de sa mère il y avait longtemps à sa fille et une petite somme d'argent à son Fils Serge qu'elle voulait que Georges conserve à la banque pour ses besoins futurs. Quant à Georges, elle lui laissait ses enfants en héritage, comme elle l'avait bien dit au notaire:

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant