Trouver le bonheur

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- Tous ces mots que tu nous donnes... dit-elle sans terminer sa pensée.

Elle se demandait s'il ne faisait que les répéter sans en comprendre leur véritable sens. Mais, elle savait que si elle lui demandait, il lui répondrait peut-être par une autre citation. Et si au contraire, il répliquait par une phrase empreinte de poésie toute juste, que fallait-il en penser ? Elle préférait ne pas chercher à en savoir davantage.

Elle lui demanda de l'aider à se lever. Du coin de l'œil, elle vit la voiture de Cédric s'engager sur la route. Elle se sentit soulagée de le voir partir ainsi. Même si elle l'avait trouvé plutôt sympathique lors de leur brève rencontre, elle ne désirait pas vraiment faire connaissance avec lui. Il demeurait le fils de Bérengère Lavoie, cette femme qui avait tant semé de malheur dans cette famille. Et d'après ce qu'elle avait entendu de la bouche de Serge, il n'avait pas été une partie de plaisir avec ses frasques d'adolescent.

Se retrouver avec Avéline et Serge s'avérerait peut-être la seule façon de passer à travers ses dernières années. Cette énergie de ces deux grands cœurs lui apporterait certainement la vigueur nécessaire pour affronter les jours plus difficiles de l'inévitable vieillesse.

Ils descendirent donc doucement les marches sans se presser et Jean-François vint l'aider à se déplacer vers le salon.

Avéline avait commencé à préparer le repas du soir. Les légumes étaient étalés sur le comptoir et elle versait un filet d'huile dans une grande poêle.

- Cédric ne reviendra plus, dit Serge en se plaçant devant la fenêtre donnant sur la cour.

- C'est bien possible, Serge, dit Avéline. Avec tout ce qu'il nous cachait, je pense que c'était la meilleure des décisions. Pour lui comme pour nous deux. Tu ne crois pas ?

- C'est dommage pour lui comme pour nous deux, je le crois. Je vais allumer le grill. Tu viens, Jean-François ?

Les deux hommes sortirent et Violette serra contre elle la veste de laine. Elle avait maintenant quelques frissons malgré la chaleur de cette fin de jour.

- Je crois que Serge est plus fort qu'on ne le croit, dit-elle à Avéline.

Cette dernière jeta les oignons dans la poêle chaude et brassa vigoureusement sans répondre. Elle essayait de mettre de l'ordre dans ses idées. Cette histoire avec Gill, les aveux de JF, les affaires louches de Cédric et l'arrivée de Violette avaient brouillé les cartes. Elle s'était imaginé arriver à la ferme, assister aux funérailles, aller chez le notaire et passer quelques jours avec ses deux frères, histoire de renouer avec ce passé embrumé. Elle croyait pouvoir faire un peu de ménage dans sa vie en les revoyant. Elle savait également qu'en revoyant le prêtre, elle allait remuer un peu de cette histoire qu'elle s'était construite il y a de cela bien des années.

- Décidemment, se disait-elle en ajoutant les poivrons aux oignons, je ne suis plus la petite fille pleine de légèreté et d'audace que j'étais. J'ai cinquante-quatre ans. Je suis fatiguée comme si j'en avais soixante-dix. Même Violette a l'air plus vivante que moi. Qu'est-ce que je faire de ma vie maintenant ?

Elle se laissa aller à quelques larmes de colère tout en brassant les légumes. Violette voyait bien que la femme qu'elle avait retrouvée n'était pas heureuse. Elle aurait tant aimé pouvoir la réconforter, mais elle ne connaissait que trop peu de choses à son sujet.

La vieille dame avait tout de même entendu la discussion avec le prêtre et elle s'en était troublée. Les deux s'attiraient et se rejetaient en même temps. Cet amour impossible les déchirerait jusqu'à la fin de leur vie, elle en avait bien peur. Mais elle n'allait pas aborder ce sujet avec Avéline à moins que cette dernière veuille s'en ouvrir à elle volontairement.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant