Fantômes au présent

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Après une courte prière et des encouragements, les amis et proches rencontrèrent les trois enfants. Bérengère resta en retrait, n'insistant pas devant les regards médusés qu'on lui jetait. Jean-François resta près de Serge non seulement comme confident, mais surtout comme ami. Il devinait que tout devait bouillir en dedans de cet homme qui n'affichait pas aisément ses émotions.

Avéline s'éloigna enfin avec son mari et ses enfants. Elle s'en retournait à la maison pour préparer le petit buffet. Les autres personnes s'éloignèrent discrètement et la douce brise qui se leva alors chassa l'écrasante chaleur qui avait tout figé lors de ces dernières minutes. Bérengère demeura près du cercueil, les mains rassemblées, comme dans une prière. Elle ne semblait pas émue, mais le clignement répétitif de ses yeux témoignait d'une certaine nervosité. Cédric, quant à lui, s'en était retourné à sa voiture, ayant allumé une cigarette tout en regardant sa mère avec intensité.

– Tu vas t'en sortir, mon ami? demanda Jean-François qui essayait de briser le mur de silence entre lui et Serge.

Serge poussa ses doigts dans les poches de son pantalon et inspira longuement, le regard rivé vers les oiseaux qui avaient trouvés refuge dans un chêne au centre du cimetière. Il retint son souffle un moment et relâcha doucement l'air qu'il avait retenu.

– Pour que j'en sorte, il faudra que je sois quelque part.

Encore du mystère, se dit Jean-François en lui souriant sans répondre. Parfois, il croyait que cet homme à ses côtés était plus intelligent que toutes ces personnes qui le croyaient bête. Il se demandait si l'entêtement de Georges à vouloir éduquer son fils comme tous les autres enfants n'avait pas porté fruit et qu'il avait volontairement caché ses progrès pour se jouer d'eux. Serge n'était pas plus sauvage que la plupart des gens. Il aimait la solitude, préférant de loin la compagnie des livres. Il évitait de sortir et s'il le faisait, pour quelques courses, il n'engageait pas de conversation avec les personnes qu'il croisait, se contentant de répondre évasivement, sans montrer d'intérêt ce qui décourageait ceux et celles qui auraient aimé le connaître davantage.

Les seuls moments où il se laissait aller à des conversations plus songées, c'était avec son ami le curé. Il l'agaçait parfois avec ses questions sur l'existence de Dieu, sur la véracité des miracles de Jésus, sur les velléités des extrémistes de tout acabit issus du passé ou vivant dans ce monde tordu où le terrorisme faisait des ravages. Il citait des passages des grands livres religieux, remettant en question des interprétations de son ami ou d'auteurs d'articles sur le sujet.

Ils passaient des heures à ne rien dire puis à parler parfois en même temps. C'étaient là des moments de pur bonheur, car il se savait vraiment en contact avec un être humain.

– Je voulais dire, avec la maison, la ferme, le travail, tout ça. Ce ne sera pas facile de vivre là-bas tout seul.

– C'est facile de vivre tout seul. Je crois que c'est toi qui as peur de la solitude. « Ne crains pas la solitude lorsqu'elle croise ton chemin. Elle te donne l'occasion de te retrouver avec toi-même et de te fortifier. »

– Elle est de qui, celle-là? demanda Jean-François.

– Personne. C'est important pour toi de toujours savoir d'où viennent les mots?

Il observa Serge un moment et décida qu'il n'avait pas l'énergie de poursuivre la conversation. Il tapota son épaule et l'invita à se joindre à lui retourner à la ferme et partager le goûter qui les attendait.

Bérengère voulut lui parler, mais ils lui tournèrent le dos et s'éloignèrent à leur tour. Elle hésita avant de partir, jetant un dernier coup d'œil au cercueil qu'elle toucha du bout du doigt. « Désolé » dit-elle tout bas, comme pour elle-même.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant