Trio

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L'atmosphère se détendit davantage alors qu'ils parlèrent de tout et de rien, mais surtout de souvenir entourant leur père. Ils rirent de bon cœur, mais les larmes furent aussi au programme.

Les flammes dans l'âtre dansèrent et la chaleur qui s'en dégageait leur donnait à tous les trois, l'impression d'être au cœur d'un certain hiver de leur vie, une pause momentanée avant de reprendre le cours de leur existence.

Avéline se mit à sommeiller, la tête appuyée sur une main alors que Cédric s'obstinait avec Serge sur la règle d'un autre de ses jeux de société. Il lui expliqua encore une fois le concept de ce nouveau jeu en développement qui allait, selon lui, dépasser le succès des Angry Birds. Son enthousiasme se transforma progressivement en déception.

– Pourquoi est-ce que tu ne fais pas de vrais jeux comme ceux-là, demanda Serge en pointant les différents plateaux, cartes et dés étendus sur le plancher.

– Ce n'est plus à la mode, aujourd'hui. Les jeunes, et aussi les plus âgés, préfèrent jouer à travers leur écran de téléphone ou de tablette. Ils peuvent jouer en réseau, en différé, seul, avec des amis ou contre le programme lui-même.

– C'est idiot. Alors les gens ne se parlent plus?

– Au contraire, tout le monde se parle beaucoup plus.

– Sans se parler vraiment. Je ne comprends pas.

– Regarde-là, dit Cédric en pointant Avéline du doigt. Elle dort comme elle le faisait autrefois. Je me rappelle quand on veillait ensemble au salon. Moi, je n'arrêtais pas de parler et de bouger. Toi, tu m'écoutais avec patience et elle, qui devait nous garder, s'endormait sur le sofa avec la grosse courtepointe de votre grand-mère. Maudit qu'on était bien dans ce temps-là.

– On est toujours bien.

– Tu parles comme un bouddhiste avec des lunettes roses.

– Les bouddhistes ne portent pas de lunettes. Ils voient très bien ce qui se passe dans le moment présent.

– Des fois, je me demande si Georges ne t'a pas inventé ton autisme pour te garder près de toi pour toujours.

Serge se leva, ramassa les assiettes et les restants. Il revint pour les bouteilles de bière et les canettes de cola. Il essuya la table basse et réinstalla le plateau de jeu d'échecs au centre en déplaçant une pièce d'une case à l'autre.

« Tu joues encore aux échecs contre toi-même, depuis toutes ces années? »

Serge acquiesça en silence. Il déposa la doudou sur sa sœur qui s'était vautrée dans les coussins usés et respirait profondément.

« Pourquoi ne vendrais-tu pas la maison? poursuivit Cédric qui l'aidait à ranger les jeux qu'il avait inventés. C'est bien trop grand pour toi, ici. Tu pourrais venir vivre à Québec pas loin de chez moi. Il y a des condos pas trop chers dans mon coin. Je connais même quelqu'un qui serait peut-être intéressé à vendre le sien. »

– Papa ne veut pas. Il l'a bien écrit dans le testament.

– Et qu'est-ce que ça changera, si tu vends? Je veux dire pour nous trois, pour lui, pour la famille... Tu serais bien plus à l'aise dans un environnement plus petit.

– Ici, c'est chez moi. Là-bas, c'est nulle part. C'est trop. Ici, il y a tout ce qu'il faut.

Cédric savait qu'il n'allait pas pouvoir le faire changer d'idée ce soir-là. Il en reparlerait une autre fois. Il comprenait que Serge veuille suivre les recommandations de son père, mais il fallait voir la réalité en face et il ne pouvait définitivement pas rester seul dans cette maison.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant