L'amie Violette

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L'été s'est achevé, cette année-là, dans une atmosphère plutôt étrange.

Serge s'était vraiment trouvé une nouvelle passion dans la lecture. Il dévorait les livres si rapidement que le pauvre Jean-François ne fournissait pas. Val-des-Anges n'avait pas de bibliothèque et l'idée d'emprunter des livres ne plaisait pas à Serge qui préférait conserver ses lectures dans un endroit tout spécial, pour lui seul. Or, trouver des livres d'occasion n'était pas chose facile. Son ami fit passer le mot parmi ses connaissances et il lui arrivait parfois d'aller ramasser de vieux ouvrages en piteux état, au papier en décomposition chez des personnes âgées qui pensaient aider une bonne cause. Serge ne s'en offusquait pas cependant, il ne lisait que des romans et de la poésie.

Avéline, au retour de son père, lui avait promis qu'elle ne referait plus la gardienne d'enfants et qu'elle se chercherait un mari dès qu'elle en aurait l'occasion. Georges lui rappela qu'elle n'avait que quatorze ans et qu'elle devrait se concentrer sur ses études avant de penser se dénicher un garçon convenable.

- Peut-être bien, papa, lui avait-elle dit avec un air arrogant, mais tu ne me marieras pas à un cultivateur, ça, c'est certain. Je ne veux pas passer le reste de ma vie à courir derrière les poules ou ramasser du fumier.

- On verra bien, ma petite chérie, dans le temps comme dans le temps. Tu m'en reparleras quand tu tomberas dans les bras d'un beau grand gars qui te fera la cour comme un Cyrano. Qu'il soit un bûcheron, un fermier ou un pouceux de crayon, tu ne te souviendras pas de ce que tu viens de dire.

Avéline avait rejeté ce commentaire d'un long soupir et s'en était retournée à la vaisselle sans dire un mot de plus de la soirée.

Serge avait entendu la conversation et cela le troubla. Dans sa tête, mille questions tourbillonnaient. Est-ce qu'Avéline avait bien dit qu'elle partirait? Quand? Pourquoi? Avait-il fait quelque chose qui lui déplaisait? Ce vacarme incessant entre ses oreilles le rendait nerveux et il préféra aller regarder le soleil descendre doucement sur les champs, avant de faire sa toilette et poursuivre la lecture du roman « La chasse-galerie » d'Honoré Beaugrand.

Georges alluma une pipe et alla s'asseoir, comme à son habitude, sur le grand balcon en avant de la maison. La chaise berçante craquait à chaque va-et-vient, en synchronisation avec le plancher de bois. Cric... crac. Il aimait se perdre dans la contemplation de la nature autour de lui. Deux grands chênes centenaires tenaient la garde, droits et fiers. S'ils pouvaient parler, ces deux-là, ils en auraient long à dire sur ces générations d'Éthier qui se sont succédées dans cette demeure. George se rappelait de soirées passées assis ici même, à écouter son père raconter une histoire rocambolesque que lui avait rapporté son frère, Eugène, de retour de l'un de ses nombreux voyages dans les Indes ou en Afrique. Eugène, c'était un missionnaire qui cherchait le bonheur dans ces contrées éloignées. Le père de Georges, Élzéar, était un conteur né. Il écoutait les récits de son frère et les transformait en aventures palpitantes qui ne finissaient plus de finir. Et le petit George restait accroché aux lèvres de son père, surtout quand celui-ci faisait exprès de dépasser l'heure du bain et du coucher, au grand dam de sa mère qui ne comprenait pas ce qu'il y avait d'intéressant à écouter des histoires de sauvages dans des pays qui n'avaient rien de civilisés.

Georges tirait doucement sur sa pipe, essayant de se souvenir de l'une de ces histoires, mais en vain. Il y avait longtemps qu'il avait eu des nouvelles d'Eugène qui était maintenant à la retraite, quelque part dans Québec. Il se promit de lui donner un coup de fil et de lui demander de lui raconter un de ses souvenirs. Cela, pensa-t-il, lui changerait les idées.

Il essayait de ne plus penser à Bérengère qui l'avait si cavalièrement planté là. Bien qu'à son retour, il se trouva soulagé de ne pas avoir été plus loin dans cette folie d'un soir, il pensa de temps en temps à ces acrobaties auxquelles il n'avait pas été habitué durant son premier mariage. Puis, au cours de la même semaine, il était passé au marché, à St-Aubert et avait croisé la veuve du boulanger, Violette Savoie, une femme dans la quarantaine avancée, qui avait une silhouette semblable à celle de son amante de passage. Il n'osa pas aller lui parler, sachant que le décès de son mari avait été un grand choc et qu'il aurait été déplacé de la déranger. Il lui apparaissait serein, mais son visage long en disait davantage que toute parole aurait pu le faire.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant