Appel

39 6 1
                                    

Sur le chemin du retour, Serge et Avéline parlaient de Violette, chacun à sa façon, mais avec un enthousiasme qui rasséréna Georges. Toutes ces inquiétudes qui ajoutaient de la lourdeur à sa vie s'en trouvèrent effacées. Il réfléchissait à cette merveilleuse soirée, aux mots qui s'étaient échangés entre eux, au comportement de Serge qui s'était senti si près d'elle dès les premiers instants, puis à l'étonnante réaction d'Avéline. Elle tenait le tourne-disque portatif sur ses genoux, mais il ne semblait pas être le principal attrait qui se manifestait à travers ses propos.

– Je la trouve naturelle, dit-elle à son frère qui serrait contre lui le livre reçu en cadeau. Elle est franche et ne joue pas à des jeux.

- Elle ne joue pas à des jeux parce qu'elle est vieille? demanda-t-il, un sourcil relevé.

– C'est une façon de parler.

– Je ne la trouve pas vieille. Elle pourrait jouer à des jeux. Avec moi. Avec toi. Avec Papa.

Avéline éclata de rire : « Pour ça, Serge, je te donne raison. Beaucoup de jeux! »

– Ça suffit, jeune fille avec tes allusions. Violette est une bonne amie. Ne va pas t'imaginer des choses qui ne se réaliseront jamais.

Il soupira, le regard un peu perdu dans l'immensité du ciel obscurci par la nuit. « On est presque arrivé. Serge, en arrivant, tu vas prendre un bain puis tu te couches. Pas de lecture. »

Serge se renfrogna, grondant un peu et attendit patiemment que l'automobile s'immobilise dans le garage pour défaire sa ceinture et traîner le pas vers la maison derrière son père et Avéline.

Cette nuit-là, Georges dormit sur ses deux oreilles, baignant dans une sérénité qu'il n'avait pas connue depuis fort longtemps. Il en fut de même pour les enfants, bien que Serge fut le premier à se réveiller pour replonger dans les eaux profondes imaginées par Jules Verne.

Puis, la semaine ramena son lot de travail qui n'est pas une sinécure chez les propriétaires terriens. L'automne approchait et il n'était pas question de s'étendre en rêvasseries pour Georges. Avéline devait se préparer pour retourner à l'école secondaire, retrouver ses amies, se remettre aux études et Serge commençait à se sentir délaissé dans toute cette effervescence.

Dix jours après ce souper mémorable, Violette donna un coup de fil à la ferme. C'est Avéline qui répondit, immédiatement enjouée d'entendre la voix de sa nouvelle amie.

– Et puis, tu aimes écouter la musique sur ta table tournante, ma belle Avéline?

– J'ai en presque usé tous les 45 tours que vous m'avez donnés.

– Il faudra que je t'en apporte d'autres. Il y a tellement de la bonne musique. Je vais passer chez Lesieur demain et il va me recommander les derniers succès, c'est certain. Je connais les airs, mais je suis plutôt nulle pour les titres et les artistes. Si tu as des noms à me proposer, je suis prête à prendre des notes.

Elles échangèrent un peu sur cette nouvelle passion commune puis Georges, qui venait d'entrer des champs, le corps recouvert de sueur et de poussière, fit de grands signes pour éviter de prendre le combiné.

– Papa ne veut pas vous parler parce qu'il est crotté, s'exclama la jeune fille en riant de cette gaminerie qui exacerba la colère de son père.

– Dis-lui que s'il ne prend pas le téléphone tout de suite, je saute dans ma voiture et je viens lui rendre visite avant même qu'il n'ait le temps de prendre une douche. Là, il aura de quoi avoir honte!

Avéline répéta mot pour mot et tendit le téléphone à son père.

Il porta le combiné à son oreille en mimant une colère qui n'avait rien de sérieux.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant