Un peu de calme

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Violette remarqua son attitude renfrognée, mais n'osa pas se mêler de ce qui ne la regardait pas. Elle préféra la guider vers un sujet qu'elle avait évité, non seulement à cause de la succession d'événements inhabituels, mais à cause de la délicatesse du sujet.

- Ce pauvre Serge n'est pas au bout de ses difficultés, n'est-ce pas ? Je veux dire, ton père et toi avez fait des miracles avec lui. Non seulement il est très au courant de sa maladie, mais il s'en sert de façon admirable. Il reste tout de même qu'il ne pourra pas vivre ici jusqu'à la fin de ses jours sans quelqu'un à ses côtés.

Avéline soupira. Elle aurait aimé dire à la vieille dame qu'elle choisirait sans hésiter de revenir vivre ici, mais cela relevait de l'utopie de toute façon. Elle était bien loin de la retraite et son mari ne désirait pas déménager même à Montréal. Avec leur relation plutôt vacillante, ce n'était pas le temps de remettre ce fantasme sur le tapis. Ce serait signer un arrêt de mort pour leur couple.

- Je le sais que trop bien, Voilette. Serge pourrait vivre seul pendant une semaine ou deux, mais il a toujours besoin de quelqu'un à ses côtés non seulement pour les besoins essentiels, mais aussi pour se sentir aimé et épaulé. J'ai misé sur Chantal Pronovost et j'ai perdu. J'ai été bête de ne pas déceler que cette femme était instable et dangereuse pour lui. Je sais très bien qu'elle essayait de le séduire depuis qu'elle est arrivée ici. Jean-François m'a raconté qu'à plus d'une reprise, il l'avait surprise à avoir cet air lunatique lorsqu'elle les observait tous les deux en train de parler de l'un des livres qu'un ou l'autre était en train de lire. Il lui est même arrivé de la voir sursauter lorsqu'il entrait sans frapper, comme il l'a toujours fait. Il m'a dit avoir eu l'impression de la déranger dans son extase silencieuse.

- Et Serge n'en a jamais parlé ? Ça me surprend.

- Si personne ne lui pose de question, il ne s'en plaindra pas. Du reste, même lorsque je lui en ai glissé un mot, plus ou moins subtilement, alors que nous étions en promenade dans les champs, il a dit qu'il n'avait pas remarqué. Mais, je sais que ça le troublait. Peut-être pas autant que nous aurions pu l'être si nous avions été à sa place, mais assez pour créer un malaise. JF le trouvait parfois enfermé dans sa cabane en train de lire, concentré, comme s'il voulait se couper de la maison. Au début, il pensait que c'était la maladie de papa qui le dérangeait et qu'il voulait s'éloigner parce qu'il était incapable de gérer cette émotion. Mais, après avoir discuté avec lui, il semblerait que l'état de santé de papa était pour lui un passage obligé et qu'il fallait être là pour l'aider.

- Alors, si l'attitude de Chantal envers lui le dérangeait et qu'il l'évitait, comme tu le dis, ça n'a fait qu'exacerber son trouble mental. La pauvre fille. Et pauvre Serge ! Je ne sais pas comment le réconforter. C'est tellement nouveau pour moi tout ça. Si j'avais insisté auprès de Georges, si j'étais demeurée ferme et forte devant cette chipie, ton père l'aurait chassé à coup de pied dans le derrière, enfant ou pas, j'en suis certaine. Alors, j'aurais pu être là avec vous, pendant toutes ces années.

- Violette, tout ce qui compte, c'est que vous soyez là maintenant. Quant à savoir comment prendre Serge, allez-y avec votre bonté naturelle et votre instinct. Serge en a vu d'autres, même s'il n'a pas été plus loin que St-Aubert, Montmagny ou l'Islet.

- Je m'inquiète quand même pour la suite des choses, ma belle Avéline. Je ne suis pas éternelle et je lui ai bien fait comprendre que ce n'était que temporaire. Mais imagine qu'en quelques jours, il a perdu, son père, Cédric, Chantal et que toi tu t'en retournes dans un monde qu'il ne connait pas et qui est vraiment très loin pour lui. Il ne va lui rester que moi et les quelques murs qui nous enferment ici. L'automne va venir bien assez vite. Après les récoltes, tout ce beau paysage va geler et il aura du temps pour faire remonter tout ça à la surface. Franchement, je ne sais pas si je suis bien équipée pour supporter tout ça. J'ai peut-être réagi trop vite.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant