Bernie Patterson se réveilla trois fois. Chaque fois, il était seul. La première fois, il s'était attendu à trouver sa femme Paulette auprès de lui. Il était en douleur et il aurait aimé partager cette douleur avec elle. Mais, à travers les brumes des antidouleurs, il s'était rappelé qu'elle n'avait plus de souvenir de lui ni de leur vie commune. Elle était quelque part ailleurs et cet ailleurs lui était inaccessible. Il avait pleuré un peu puis s'était rendormi.
Il avait été extirpé de ce cauchemar par le tumulte de cris et le fracas d'une fenêtre que l'on cassait. D'autres cris fusèrent puis plusieurs personnes passaient et repassaient devant la porte de sa chambre, mais personne ne daignait lui jeter un coup d'œil. L'homme qui était étendu sur l'autre lit, sur sa droite, ne respirait qu'avec difficulté, une machine le gardant en vie. Il était gris et maigre. Patterson avait détourné le regard, encore plus fatigué que lors de son précédent éveil. Il avait de nouveau fermé les yeux et avait rapidement retrouvé ses propres ténèbres.
Il eut à peine conscience des gens qui vinrent le voir. On s'affairait autour de lui sans se presser. On examinait ses yeux, on prenait son pouls, on ajustait le soluté...
Puis, une voix le tira de cet étrange confort où il se trouvait. Une voix familière qui lui fit peur. Il ouvrit les yeux, cherchant à associer un visage à cette voix qu'il connaissait trop bien.
- Georges ? s'exclama-t-il sur un ton nerveux.
Il tourna la tête à gauche et à droite. Il tenta même de soulever son corps pour voir si son voisin ne s'était pas caché sous le lit.
Émergeant de ce délire, il ferma à nouveau les yeux, mais ne les garda pas longtemps ainsi puisqu'il avait l'impression que cette voix reviendrait le hanter aussitôt qu'il baisserait la garde.
« Maudit vieux chenapan. Tu ne viendras pas me hanter, c'est certain ! »
Il grommela quelques blasphèmes et tenta de se tourner sur le côté droit. Une douleur émergeant de ses muscles le stoppa net. Il y eu un éclair métallique et tout lui revint. La hache, le regard de Chantal Pronovost, sa main gauche qui attrapait le vieux fusil de chasse, sa course effrénée à travers le champ de blé, le rire sardonique de la femme et le prêtre qui s'avançait. La douleur se fit encore plus intense lorsqu'il se revit pointer l'arme vers le bas du dos de la femme qui brandissait sa hache vers le pauvre Jean-François.
Il retint son souffle puis échappa un sanglot.
« Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai fait. J'espère que je ne l'ai pas tuée. Si c'est le cas, je ne me le pardonnerai jamais. Je n'aurais pas dû m'en mêler. J'aurais dû appeler la police. »
Il voulait en avoir le cœur net. Il ne pourrait pas se reposer ni dormir à nouveau tant qu'il ne saurait pas ce qui s'était passé après qu'il eût tiré dans la direction de la femme. Avait-il raté sa cible ? Avait-il blessé ou tué une autre personne, comme le curé ?
Son cœur s'emballait. Une infirmière arriva en trottinant.
- Bon, vous êtes réveillé, monsieur Patterson. C'est bon signe, ça. Comment vous sentez-vous ? Laissez-moi vous aider à vous relever un peu.
Il essaya de parler, mais trop de mots se bousculaient dans sa gorge. Il toussa. Elle remonta un peu le lit et ajusta les oreillers.
- La femme, la fille, Chantal, comment va-t-elle ?
L'infirmière ne put cacher son inconfort devant cette question. Elle essaya de sourire, mais il devina que quelque chose n'allait pas.
- Écoutez, monsieur Patterson, je crois que je vais appeler le médecin afin qu'il puisse vous examiner. On va tout vous expliquer. Ne vous en faites pas trop. Tout est sous contrôle.
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...