Crise

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Les pleurs de Georges alertèrent Serge qui passait tout près de la maison en sortant de la cabane où il rangeait ses précieux livres. Il venait de terminer Vingt mille lieux sous les mers et espérait que la visite prochaine de Violette coïnciderait avec un nouvel ouvrage de cet auteur.

Il entra donc, l'air apeuré de voir son père ainsi affalé sur le sol, cachant à peine son visage ruisselant de larmes.

– Papa? Tu pleures? Pourquoi tu pleures?

Il vint s'asseoir à ses côtés et se mit à pleurer lui aussi, sans savoir pourquoi. Il commençait à se tirer les cheveux et son visage s'empourpra rapidement.

Avéline, qui s'était réfugiée à l'étage, tournait en rond dans sa chambre. Elle regrettait ses mots, mais elle refusait de descendre pour s'excuser. Elle avait sa fierté et ne voulait pas céder et montrer ainsi sa faiblesse. Son père ne pouvait pas se permettre d'être aussi violent avec elle. Elle faisait ce qu'elle pouvait pour rendre cette maison un tant soit peu vivable depuis la mort de leur mère. Faire la cuisine, le ménage, ranger tout ce qui traînait, s'occuper de Serge qui ne prenait pas encore son bain seul, le rassurer, bref, jouer à la mère, c'était tout un poids à transporter sur ses épaules. Elle en venait à espérer que Violette devienne sa mère d'adoption, comme l'avait si justement suggéré Serge dans toute son innocence. Avoir cette femme auprès d'eux s'apparenterait au miracle, à une liberté regagnée, pour qu'elle puisse s'épanouir comme toutes les filles de son âge. Elle en voulait à tout le monde et elle devait le taire, car elle sentait que tout autour d'elle tenait qu'à un fil et que cette quiétude, bien qu'artificielle, avait le propre de ne pas laisser tout aller à la dérive.

Elle entendit les sanglots de son père et mit les paumes de ses mains sur ses oreilles, fredonnant une chanson de Joe Dassin, pour conjurer cette douleur qui revenait blesser la maisonnée de façon sournoise. Elle ignorait que la communication avait été coupée, imaginant alors le pire : quelque chose était arrivé à Violette... Elle s'arrêta net dans sa danse de colère et retira ses mains. Elle entendit que Serge s'était joint à la chorale des pleurs. Il râlait, tapait du pied puis frappait le plancher, s'étouffant dans ses cris.

Il fallait qu'elle intervienne, qu'elle mette un peu de paix dans cette tornade d'émotions. Elle voulait en avoir le cœur net. Si le malheur frappait de nouveau leur petit noyau familial, il fallait qu'elle fasse partie et qu'elle calme le jeu, sinon, elle le savait, Georges sombrerait dans une autre dépression et c'en était finit des progrès de Serge.

Elle dévala les marches trois à la fois et vit que son père prenait conscience de l'impact de cette démonstration exagérée de peine et de colère. Serge se roulait par terre et avait des haut-le-cœur, s'étouffant dans sa salive.

– Je suis désolé, Avéline, s'écria le père en la voyant se pencher contre son frère. Il faut que tu me pardonnes. Je vais devenir fou!

Elle lui fit signe de se taire. Elle lui demanda d'aller chercher une serviette imbibée d'eau puis s'agenouilla près de Serge qui ne savait plus ce qu'il faisait. Il ne voyait même plus que son père avait cessé de pleurer ce qui, d'habitude, suffisait pour le calmer.

– Serge, écoute-moi, mon chéri-bibi. Respire. Respire profondément.

L'enfant se recroquevilla sur elle en entendant l'expression favorite de sa mère. Il regarda sa sœur et se calma un peu, retrouvant doucement sa quiétude. Il transpirait abondamment et ses yeux vitreux auguraient une fièvre. Bientôt des tremblements le secouèrent et il se lova davantage contre la poitrine de sa sœur qui caressait doucement ses cheveux en murmurant des mots doux, comme le faisait sa mère lorsqu'il perdait tout contact avec la réalité.

Georges tendit la serviette mouillée et essuya son visage du revers de sa manche de chemise de denim. Il secouait la tête de dépit, ne sachant plus s'il devait s'excuser ou se retirer, ce qu'il faisait la plupart du temps au lieu d'affronter la crise comme sa femme le faisait si bien.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant