Violette les accueillit comme s'ils étaient de vieux amis. Elle portait une robe rouge, au décolleté qui fit sourciller Avéline. Georges s'efforça de sourire sans trop montrer son inconfort. Serge resta planté dans l'entrée, les mains dans les poches. L'hôtesse invita le jeune garçon à entrer, mais il ne broncha pas, les yeux balayant le plafond, les murs et le plancher, cherchant visiblement quelque chose.
- Serge, arrête de faire le poteau de téléphone et entre, ordonna le père, agacé par ce comportement.
- Laissez-le, ce n'est pas grave, répondit Violette. Il ne connait pas cette maison et je le comprends un peu. C'est plutôt gênant d'être invité comme ça chez des inconnus.
- N'empêche, ce n'est pas une raison...
Elle lui fit un clin d'œil et s'approcha du garçon, tout en gardant une certaine distance: « Je crois savoir ce que tu cherches, Serge. Est-ce je peux te dire ce à quoi je pense? »
Serge arrêta son manège et fixa la dame avec intérêt.
- J'aime lire. Je lis « La chasse-galerie », c'est un très bon livre. J'aime les très bons livres. Surtout la chasse-galerie.
Avéline soupira et leva les yeux au ciel. Georges lui fit signe de se calmer. Il était fasciné de voir Serge s'ouvrir ainsi. Il s'était plutôt attendu à ce qu'il réagisse en se refermant davantage. Violette avait pris un énorme risque en tentant de lui parler ainsi, mais peut-être qu'elle avait une raison bien spécifique de le faire.
- Est-ce que tu connais Jules Verne, Serge?
- Jules Verne.
- Jules Verne, oui. C'est un auteur français qui a écrit des livres merveilleux. Des romans de voyage en ballon, sur la lune, au centre de la Terre, dans les profondeurs des océans. Est-ce que tu le connais?
- Verne. Voyages... Non.
- Tu aimerais voyager avec Jules Verne?
- Il est ici?
- Oui. Non, enfin un peu.
Violette afficha un large sourire. Les yeux de Serge s'étaient écarquillés, comme si on allait lui servir un trésor inestimable, ce qui était un peu le cas. Elle se tourna vers Georges : « Vous voulez m'accompagner dans la pièce à côté? Tu peux venir Avéline, si tu veux, toi aussi. »
Tous étaient maintenant curieux de connaître ce qui se cachait dans la petite pièce dont la porte était entrouverte. Il y avait une faible lumière qui s'en dégageait, comme si on avait allumé une chandelle. Ils suivirent la femme qui poussa enfin la porte pour révéler une bibliothèque garnie de livres aux dos de cuir et de dorures. Sur la droite, un fauteuil sur lequel on avait envie de s'asseoir et déguster un thé en fin de soirée. La cheminée dont l'âtre était fait de pierres grossièrement taillées, rappelait les foyers dans les anciennes maisons de campagne. Un feu y crépitait tout doucement, dégageant une certaine chaleur qui n'avait rien d'imposante. Au-dessus du manteau en bois équarri à la hache et recouvert de plusieurs couches de vernis, il y avait un chandelier à sept branches où des bougies jaunes brûlaient doucement, créant une atmosphère propice au recueillement et à la paix.
À la vue de tous ces livres, les yeux de Serge s'emplirent de larmes. Il dut prendre appui sur le chambranle de la porte, ne pouvant contenir le flot d'émotions qui le traversait. Violette avait porté les mains sur son cœur, partageant la même émotion qu'avait son jeune invité. Elle se déplaça vers les rangées de livres et passa un doigt le long de la tablette, en regardant chacun des titres qui s'y trouvaient. Elle attendit un peu avant de parler, histoire de mettre de l'ordre dans ses émotions.
VOUS LISEZ
Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...