Le silence des blés d'or

Réconfort

Violette se jeta dans les bras d'Avéline qui pleurait. Cédric, qui ne connaissait que quelques bribes de cette histoire d'avant son temps, observait la scène avant tout autant d'émotion. Mais lorsqu'il entendit le râlement de Chantal qui prenait appui sur le chambranle, il fit volte-face et soutint la pauvre qui allait s'écraser sur le sol.

– Vite, approche une chaise, dit-il à Avéline qui essuyait ses larmes. L'ambulance s'en vient.

De fait, la sirène se faisait entendre au loin, avec cet étrange écho que confère le temps de pluie.

Serge, en entendant la voix de Violette, s'était levé et souriait. Pourtant, personne ne s'occupait de lui et il se tint en retrait, car il avait aussi remarqué l'entrée de Chantal qui lui semblait fort mal en point.

La vieille dame se déplaça vers le centre de la cuisine alors que les ambulanciers pénétrèrent dans la pièce. Avéline vint se placer tout contre elle et lui tint le bras.

- Quel drame épouvantable! dit Violette à mi-voix. Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver? Et qui est ce jeune homme? Ton mari?

– Mon demi-frère.

– Ah, c'est lui.

Ce sous-entendu n'avait pas besoin davantage d'explication. Le dernier souvenir qu'avait Violette de sa visite à la ferme faisait référence à un enfant à naître et cela ne lui avait pas du tout plu. Le souvenir ravivé ne l'excitait pas non plus, mais le garçon lui avait semblé charmant quoiqu'un peu trop fébrile, comme s'il consommait de la cocaïne. Elle serra tout contre elle la belle grande femme qu'était devenue Avéline. Puis, jetant un coup d'œil sur le salon, elle vit Serge debout, l'air démoli. Elle se sentit à nouveau emportée plusieurs années en arrière alors qu'elle lui avait remis un premier livre de Jules Verne.

– Tu permets? Je vais allez voir ton frère.

Avéline acquiesça, mais la suivit, comme si elle voulait s'éloigner du malheur qui revenait encore une fois alourdir sa journée.

Violette s'approcha doucement de Serge qui la reconnut, bien entendu, les épaules secouées par l'émotion.

- Les petits pains au chocolat... dit-il en ouvrant ses bras.

– Pauvre enfant. Mon Dieu que tu m'as manqué!

Serge se réfugia dans ses bras et pleura à chaudes larmes. Il marmonnait, entre deux sanglots, « Maman, maman », comme s'il venait de replonger dans cette époque où tout était encore possible. Avéline ne put s'empêcher de pleurer à son tour.

Cédric, qui ne manqua pas de remarquer ces retrouvailles remplies d'émotion, accompagna les ambulanciers jusqu'à la porte. Il revint dans la cuisine et s'empressa de nettoyer les traces de sang sur le plancher et sur la chaise avec une guenille trouvée sous le lavabo.

Le trio s'assit sur le grand sofa, Serge tenant toujours son ultime livre d'une main, et la main de Violette de l'autre.

– Je suis désolé d'avoir manqué les funérailles, dit-elle. C'est votre curé, Jean-François, qui m'en a avisé dès que la mort de Georges a été confirmée, mais j'avais des problèmes avec mon épaule et mon docteur ne voulait pas que je conduise dans cet état, surtout sur une longue distance.

Elle raconta qu'elle habitait à Charlesbourg, en banlieue de Québec, dans une charmante résidence pour personnes âgées semi-autonomes.

« Quand j'ai appris que le pauvre Georges était très malade, j'ai longtemps hésité à venir le voir. Ça me faisait trop mal. Je sais que ça peut vous paraître exagéré, mais j'ai aimé votre père. La seule chose qui me retenait, c'était cette espèce de deuil que je m'imposais, bien malgré moi. On avait à peine une dizaine d'années qui nous séparait et j'aurais tellement aimé être avec vous au cours de toutes ces années. Quand cette femme est arrivée comme une tornade avec sa nouvelle, ça m'a détruite. J'ai voulu m'enfuir et c'est ce que j'ai fait. Votre père a essayé de me rejoindre, mais j'étais déjà loin d'ici. Il n'y avait pas beaucoup de monde dans la région qui savait où j'étais déménagé. J'avais plus d'un deuil à faire. »