Leur relation débuta donc ce soir-là, avec de longues discussions sur tout et sur rien. Gill ne parlait pas seulement de son travail, qu'il adorait, mais des recherches qui avançaient grandement dans plusieurs domaines de la pédiatrie. Il parla de cinéma, étant un grand admirateur de David Lynch depuis toujours. Il raconta une partie de son enfance, passée à voyager en compagnie de ses parents, le père étant diplomate tout aussi passionné que lui de tout et de rien. Il parla sans gêne de la dépression de sa mère, des problèmes relationnels de son frère aîné. Il aimait sa vie, active et remplie de rebondissements.
Un soir, alors qu'ils revenaient à pied d'un théâtre où ils avaient vu la version anglophone des « Belles Sœurs » de Michel Tremblay, il se laissa aller à des confessions :
- Il m'arrive de réaliser que je laisse un peu trop aller la locomotive et je prends une pause. Je lâche tout et je me trouve une maison sur le bord de la mer dans le Maine. J'adore l'hiver sur le bord de la mer. Tout est désertique. La neige qui se bat contre l'éternelle marée... Je passe des heures en contemplation devant cette scène où mes yeux se perdent dans le vide. Parfois, je deviens nostalgique. Je rêve d'avoir des enfants, de rencontrer une Avéline. Et de la demander en mariage...
Avéline ne comprit pas tout de suite. Cette dernière phrase coulait dans son oreille comme un mince filet d'eau tiède sur sa peau glacée. Elle stoppa net et lâcha le bras de Gill :
- Est-ce que tu viens de me demander en mariage, Gill Durant ? Tu ne serais pas un Anglo vieux jeu par hasard ? Ou bien, peut-être veux-tu te venger de mon insistance à te faire voir une pièce de théâtre bien de chez nous traduite pour vous, les impérialistes britanniques.
Gill étouffa un rire : « Tu es vraiment toute une pièce de femme, Avéline. Et je me demande encore pourquoi il n'y a pas une file d'attente derrière nous, avec des hommes et des femmes qui veulent t'épouser, t'enlever, t'aimer sans limites. Je dois me pincer chaque soir depuis 6 mois, pour me convaincre que je ne suis pas en train de rêver. Je m'imagine qu'à tout moment tu vas venir près de moi et me dire, "c'est fini, Gill". J'en ai des sueurs froides, tu sais ? »
Avéline secoua la tête.
- Nous marier ? Ce n'est pas un peu courir à notre perte ? Avec tout ce qu'on voit autour de nous. Rien que parmi nos amis, trois couples se sont séparés depuis les quelques derniers mois. Et probablement pas seulement à cause de différences entre eux, mais aussi à cause de leurs enfants. Je ne sais pas, Gill. Je ne suis peut-être pas faite pour le mariage. J'ai vu tant de cœurs brisés après s'être complait dans l'illusion d'un amour durable.
- Te voilà bien sérieuse tout à coup, ma chérie. Soit, si tu ne veux pas te marier, vivons ensemble. Je n'en peux plus d'organiser nos horaires selon nos disponibilités. Il me semble que ç simplifierait beaucoup les choses, non ?
Elle marchait, les mains dans les poches, gardant le silence. Depuis qu'elle avait rencontré cet homme, elle avait mis son projet de revenir dans son coin de pays en veilleuse. Elle voulait apprendre à le connaître, histoire de voir si un certain avenir pouvait se dessiner pour eux. Cependant, plus cette relation se solidifiait et plus elle se sentait en confiance avec lui, moins l'urgence de fuir Toronto se faisait sentir. Et cela la tracassait. Elle ne lui avait jamais parlé de ce projet, ne voulant pas l'effrayer. Et voilà qu'il lui proposait de vivre avec elle, voire la marier. L'idée ne lui déplaisait pas, au contraire. Cependant, le vertige de cette décision éloignait les chances de retourner au Québec et se rapprocher de sa famille.
Elle passa son bras sous le sien et l'invita à prendre un café dans l'un des petits restos autour du Square David-Pecaut. Tout en sirotant un expresso, elle lui raconta dans quel état elle se trouvait lorsqu'il la rencontra. Elle remarqua une certaine déception dans son regard. Agacée, elle le lui mentionna et il se défendit aussitôt :
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Le silence des blés d'or
Fiction généraleÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...