Avéline voulait le frapper. Elle le détestait lorsqu'il avait raison. Cette façon qu'il avait de parler avec peu de mots, mais de viser au centre de sa cible désarmait toutes les personnes avec qui il entamait des discussions. Caché derrière ses citations, il fait un peu comme un chien savant, récitant des mots qui, bien qu'ils soient la plupart du temps forts justes, pouvait sembler à un étalage de son savoir littéraire. Par contre, les mots sortis de son esprit, les siens en propre, filaient doucement au gré des échanges puis venaient chercher quelque chose au cœur de l'autre ce qui lui laissait une étrange sensation de s'être laissé berné.
- Bon, d'accord. Disons que tu aies raison. Qu'est-ce que ça m'apportera de plus ? Des études, des devoirs en plus de m'occuper de vous...
- Tu t'occuperas de toi. Nous nous occuperons de nous. Il n'y a pas d'université à Val-des-Anges. Il te faudra aller à Québec, peut-être à Montréal.
Elle savait qu'elle ne gagnerait pas. Elle devinait également qu'au fond d'elle il y avait cette clochette qui tintait depuis longtemps, lui signifiant la fin de la récréation. Elle devait se prendre en main et, pour une fois, écouter son père et son frère.
Elle avait un certain don en mathématique. Tout lui semblait si facile. Elle aimait les sciences et son cours au collégial, bien que général, lui avait ouvert les yeux sur bien des ouvertures qu'elle aurait aimé explorer davantage. D'abord, la médecine vétérinaire était une des orientations qu'elle aurait aimé explorer dès son entrée au CÉGEP. Puis, l'écologie, sujet à la mode ces derniers temps avec les rapports accablants en matière de pollution. À cette époque, on ne parlait pas encore d'environnement et les enjeux sur l'avenir de la planète tournaient autour de la fameuse couche d'ozone. Elle avait mis beaucoup d'énergie pour former une présentation qui avait fait fureur lors de sa première année d'études. Mais, la situation à la ferme n'allait pas s'améliorer avec son départ pour la grande ville et elle avait décidé de faire une croix là-dessus, du moins pour les prochaines années. Pourtant, cette soif de savoir et d'implication dans son milieu, son expérience dans l'agriculture et cette passion qui l'habitait avait fait d'elle, sans le savoir, une candidate idéale pour un cours universitaire.
- Je vais parler avec papa, je te le promets. Maintenant, laisse-moi dormir, s'il te plaît.
Il fit un large sourire, content de l'avoir convaincue. Serge était un peu jaloux de sa facilité à tout avaler sans se poser de question, ce qui n'était pas son cas. Tout était tellement en mouvement dans sa tête qu'il ne pouvait se permettre de mettre le nez dans un livre de science sans en avoir la nausée. Il préférait de loin la lecture de grands romans ou encore d'ouvrages traitant de philosophie ou de religion.
Il se leva et posa un long baiser sur le front de sa sœur en lui souhaitant une belle vie. Avéline n'était pas sûre d'avoir bien entendu, mais le remercia tout de même.
Avéline entama ses études de premier cycle à l'Université de Montréal où elle résidait dans un des appartements loués pour les étudiants venant de l'extérieur de la région de Montréal. Elle se lia d'amitié avec plusieurs autres filles de son âge, mais évitait de parler aux garçons. Ce n'était pas parce qu'elle était timide ou craintive face à leurs avances, mais plutôt parce qu'elle désirait se concentrer sur ses études et réussir afin de rendre son père et son frère fiers d'elle et de ses accomplissements.
Elle venait régulièrement à Val-des-Anges lors des congés et Serge, comme à son habitude, voulait tout savoir de cette grande aventure loin des travaux de la ferme.
Lorsqu'elle obtint son baccalauréat, une importante compagnie fabricant des produits biodégradables voulut l'engager, mais elle hésita. Le poste qui lui était offert se trouvait à Toronto, encore à des centaines de kilomètres de plus de chez elle. Elle eut l'impression de s'éloigner pour toujours de sa famille. Mais l'offre venait avec un généreux salaire et de généreux avantages sociaux. Son futur employeur lui garantissait qu'un poste similaire serait créé à Montréal ou peut-être même à Québec dans un proche avenir. La compagnie avait des ambitions de prendre de l'expansion, car le sujet des pesticides qui empoisonnaient les terres et les eaux commençait à générer de plus en plus d'attention dans les médias. Le fabricant proposait des alternatives qui plaisaient autant aux agriculteurs qu'au grand public.
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Le silence des blés d'or
Ficción GeneralÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...