Le passé de Violette

29 8 2
                                    

Elle leva les yeux vers lui. Il crut détecter un brin de tendresse dans ce regard. Ce pouvait être aussi de la fatigue, tout simplement.

- Qu'est-ce que ça va changer, Cédric ? Il est trop tard pour moi comme pour toi. Je suis rendu une vieille haïssable et toi, tu es un adulte, donc tu n'as plus besoin de moi.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Ni ton père ne ta mère ne t'ont laissé sur le perron pour aller courir des mâles en chaleur au gré des vents de la Méditerranée, à ce que je sache. Est-ce que tu sais seulement le vide que ça crée quand ta mère disparaît sans donner de nouvelles pendant plus que 35 ans ? J'en doute, chère mère. J'ai essayé de te retrouver. J'ai vu ta sœur avant qu'elle ne meure empoisonnée par les champignons qui grouillaient entre les murs de son logement pourri. Comment tu peux te tenir la tête encore droite devant moi quand tu sais que tu n'es même pas venu à ses funérailles ?

- Qui te dit que je n'y étais pas ? s'enquit-elle.

- Parce que j'y étais moi, et que j'ai salué chacune des personnes qui étaient là et aucune d'entre elles ne s'est réclamée ma mère, tu sauras.

Elle regarda vers le jardin, l'air de vouloir être ailleurs.

- Tu fais toujours des drames comme ça ? Quand tu étais petit, tu te roulais par terre en faisant le bacon parce qu'on ne te donnait pas ce que tu voulais.

- Et j'ai hérité ça de qui, tu penses ? Arrête de faire comme si ça ne t'a pas dérangé. Je ne peux pas croire que tu sois froide comme un bac de glaçons oubliés au fond d'un frigo en Alaska. Ça ne se peut juste pas. Tu sais quoi ? Je t'imaginais en monstre. Du genre, la peau verte, des cornes sur le front, des griffes pleines de sang. Je me faisais des scénarios d'exorcisme, bravant les démons qui te grugeaient de l'intérieur, avec une épée en plastique, une cape de Batman et un t-shirt de l'homme-araignée. Tous les jours, le matin, j'allais m'asseoir sur le perron malgré les commentaires moqueurs de la belle Avéline. Beau temps, mauvais temps, je t'attendais. Chaque fois qu'une voiture passait, je me levais et je me préparais à t'affronter, à t'égorger, t'éventrer, te sortir du ventre de cette bête qui t'avais bouffé le jour de ma fête. Comme le Petit Chaperon Rouge en version rousse. Ça a duré jusqu'à l'âge de onze ou douze ans. Puis un matin, je me suis dirigé à la porte, j'ai posé ma main sur la poignée, et je me suis trouvé bête, exactement comme Avéline me le répétait. J'ai ramassé mes armures, jeté ce tas de fantaisies dans le bidon où Georges brûlait ses bouts de bois, et j'y ai mis le feu. J'ai regardé la fumée noire gluante qui serpentait vers le ciel et je t'ai envoyé chier.

Bérengère ne réagissait pas. Elle buvait des petites gorgées de son thé maintenant froid et évitait le regard de son fils.

- Sais-tu que plus je te regarde, plus tu ressembles à ton père. Jodoin. Tu devrais essayer de le retrouver, finalement. Peut-être que tu vas trouver du réconfort auprès de lui. Mais j'en doute. Ça toujours été un sans-cœur. Il voulait juste de la couchette. Et moi, je ne disais pas non, parce que dans ce temps-là, c'était bien la seule chose qui m'allumait.

Cédric jura entre ses dents. Il se leva brusquement et jeta la serviette de table au visage de sa mère.

- Étouffe-toi donc avec ton dentier, Bérengère Lavoie. Tu n'es pas plus ma mère que le jour où tu es partie.

Il se pencha près de son oreille et ajouta : « Je regrette juste de ne pas avoir assez de couilles pour te trancher la gorge avec la belle coutellerie de madame Boivin. »

Il se releva et termina sa rencontre en lui disant, pour que tous l'entendent : « Tu m'enverras ton chèque de quinze mille piastres, ma chère maman d'amour. J'ai été tellement heureux de te rencontrer... »

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant