Avant même que le jour ne se lève, Georges se réveilla en sursaut. Un bruit insolite l'avait extirpé de son sommeil, il en était certain. Il se leva précipitamment de son lit et attrapa la robe de chambre qui était accrochée à la tête du lit. Il eut un long frisson qui avait peu de rapport avec la fraîcheur qui régnait dans la maison.
Il fit d'abord le tour des chambres de ses enfants. Avéline dormait à poings fermés, un bras par-dessus la tête, une jambe enroulée dans la jetée que lui avait fabriqué sa grand-mère Hortense en honneur de sa naissance. Il ne ferma pas la porte, préférant laisser les pièces ouvertes, au cas où quelque chose de plus concret se matérialiserait au cours de son exploration des lieux.
Il distingua la porte entrouverte de la chambre de Serge. Il se pencha un peu et le vit couché sur le dos, les mains ramenées sur sa poitrine, comme un mort. Il frissonna davantage à la vue de cette scène pour le moins troublante. Son fils ne dormait que sur le dos et parfois ronflait si fort que ces bruits réveillaient toute la maisonnée. Il dormait lui aussi, inconscient de la peur qui ceignait le ventre de son père.
Georges s'avança vers la fenêtre au bout de corridor qui donnait sur les champs. Comme il faisait encore nuit, il ne distinguait que peu de choses. Les ombres s'entremêlaient dans un paysage peint de mille nuances de gris. Déjà, l'horizon pâlissait un peu, signe que la nuit se retirerait bientôt. Il se pencha et mit ses mains en visière pour chercher quelque chose qui sortirait de l'ordinaire. Il vit un lièvre qui s'était arrêté près de l'enclos des poules. Il ne bougeait pas, à part un mouvement à peine perceptible de ses oreilles.
L'homme se dit que si la bête était là, assise paisiblement au milieu du terrain, il n'y avait guère de possibilité que quelqu'un ou quelque chose d'anormal se soit produit au cours des dix dernières minutes. Cela ne le rassura qu'en surface. Il était convaincu que le bruit venait de l'intérieur de la maison.
Il descendit lentement l'escalier, ses pieds prenant appui doucement sur chacune des marches, pour éviter de les faire craquer. Une lampe de nuit accrochée dans la cuisine jetait un faible halo de lumière dans la pièce. Georges arriva en bas et balaya du regard l'ensemble des pièces devant lui. La cuisine s'étendait sur une grande surface, aboutissant sur la table ancienne qui avait traversé trois générations d'Éthier. Au centre, derrière les portes françaises, trônait le salon plongé dans le noir. Puis, devant lui, sur la gauche, le vestibule et la porte d'entrée où la lanterne murale éclairait le balcon d'une lumière jaunâtre.
Il fit un pas en direction du salon et poussa la porte vitrée. Le balancement du pendule résonnait dans la pièce vide de vie. Les lourdes tentures tirées ne laissaient filtrer qu'une mince ligne de lumière venue du balcon. Il pénétra dans la pièce sans se presser, posant un pied devant pour s'immobiliser. Il entendait sa propre respiration et les battements de son cœur.
Il se demandait s'il n'avait tout simplement pas rêvé ce bruit qui l'avait terrorisé. Il n'était pas, comme ses parents, un fervent croyant. Pour lui, Dieu, le Diable et toutes ces entourloupes d'une autre époque étaient des moyens de garder les fidèles à la prière et de les éloigner de la réalité. Il ne croyait donc pas non plus aux sortilèges, aux fantômes et autres formes de manifestation de l'au-delà. Pour lui, ce qui était visible était explicable et trouver une raison à tout ce qui se déroulait sous ses yeux était un de ses passe-temps favoris.
Il se trouvait donc devant une certaine évidence à savoir qu'il n'y avait personne d'autre dans la maison que lui et ses enfants et que le bruit ne pouvait venir de l'intérieur. Et il y avait peu de chance qu'il fut aussi d'origine extérieure, comme en témoignait le comportement du lièvre.
Il sourit et sentit ses épaules se relâcher. Il ouvrit les tentures et laissa la lumière artificielle pénétrer la pièce. Il s'assit dans le fauteuil de cuir et ferma les yeux. Il ressentait une immense fatigue, mais il savait très bien qu'il ne retrouverait pas le sommeil. De toute façon, habitué qu'il était de se lever avant l'apparition des premiers rayons de soleil, il n'en fit pas de cas. Il en profita pour respirer tout doucement et se laissa aller à penser à Violette dont la visite allait certainement agrémenter ce dernier jour de la semaine. Il se demandait s'il allait trouver en lui la patience nécessaire pour tout préparer et ne pas se retrouver à tourner en rond, comme le faisait souvent Serge lorsqu'il était nerveux.
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Le silence des blés d'or
Fiction généraleÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...