2015
Cédric se pencha vers sa mère qui se massait les jambes après cette longue marche vers les premiers bancs de l'église. Il savait qu'il ne devait pas faire d'esclandre devant les quelques personnes qui assistaient aux funérailles de Georges, mais tout se bousculait dans sa tête après avoir vu celle qu'il détestait depuis plus de vingt-cinq années. Pour lui, cette femme représentait la douleur qu'il traînait avec lui depuis 1979.
La voir se déplacer ainsi, l'air dominateur sous le regard haineux des autres, suffisait pour rallumer la colère qui avait suivi l'incompréhension. Du haut de ses trois ans, le petit Cédric n'avait pas saisi l'ampleur du drame lorsqu'on lui apprit que sa mère était partie. Évidemment, il avait fallu extirper le pauvre Georges de l'inconfortable position où il se trouvait, après avoir vu l'automobile foncer tout droit dans le champ vierge. Personne ne comprenait ce qui se passait. Seul Georges avait pu déduire que cette disparition allait être permanente. Personne ne le crut, évidemment. Avéline disait qu'elle allait revenir, que ça ne faisait pas de sens, qu'une mère ne pouvait pas abandonner son enfant comme ça, sur un coup de tête. Serge et Cédric trouvaient plutôt drôle de voir leur père dans cet état, à moitié ivre et désespéré. On avait fêté le petit, sans trop d'enthousiasme, le calmant lorsqu'il demandait sa mère, mais il se coucha ce soir-là le cœur froissé. Ces plis ne s'effacèrent jamais.
Heureusement pour lui, personne dans cette petite famille n'avait songé un instant à se séparer de lui. Il était entendu qu'il resterait avec eux, qu'il était un Éthier à part entière. Cela sous-entendait, bien entendu, que Bérengère reviendrait un jour ou l'autre.
Mais elle ne revint jamais. On avait perdu toute trace d'elle. Sa sœur à Québec était tout aussi outrée de ce départ inopiné. Elle avait fait le tour des amies de la diablesse en vain. Elle s'était volatilisée, probablement partie aux États-Unis ou en Europe avec un de ses soupirants, avait-elle fini par dire, découragée par des recherches qui ne menaient à rien.
Cédric attendait qu'elle parle, mais elle faisait comme si cet homme devant lui n'existait pas. Savait-elle seulement qu'il était son fils? Il patienta encore un peu et le curé Therrien, qui l'observait du coin de l'œil en attendant qu'il aille s'asseoir à son tour, toussota et joignit les mains pour prier.
– Je ne sais pas ce que tu fais ici, mais tu as le choix, finit-il par dire à voix basse. Ou tu t'en retournes par où tu viens, c'est-à-dire en enfer, ou tu restes et c'est moi qui vais te ramener et ça ne sera pas joli.
Il n'attendit pas sa réponse et alla s'asseoir près de Serge qui gardait les sourcils froncés et les yeux rivés sur la nouvelle venue.
– Ne t'inquiète pas, frérot. Je vais m'occuper d'elle si elle ne décrisse pas au plus vite.
– Tu ne devrais pas sacrer dans la maison de Dieu.
– Et tu ne penses pas que je m'en crisse?
– Deux Christs en moins de cinq secondes, tu n'iras pas au Paradis, poursuivit Serge toujours troublé par la vue de la vieille femme.
– Je n'irai ni au paradis, ni en enfer, Sergio Le Lonely, je m'en vais nulle part, comme d'habitude...
L'orgue joué par Huguette Plamondon fit entendre ses premières notes de l'Ave Maria de Bach. La belle voix de Cynthia, sa fille, se joignit à la mélodie et les esprits se calmèrent un peu.
Jean-François Therrien était ému et ça se voyait. Lui qui avait côtoyé le vieux Georges jusque dans ses derniers moments, il avait cherché dans ses notes les mots les plus appropriés pour rendre un hommage particulier à cet homme qui avait gardé le dos droit et la tête haute malgré les malheurs qui l'avaient accablé tout au long de sa vie. Il avait peine à se concentrer alors qu'il regardait tour à tour son grand ami Serge, toujours aussi stoïque, Avéline, froide et réservée, et Cédric, l'éternel nerveux. Il avait perdu le fil de ses idées en voyant Bérengère Lavoie faire son entrée. Ce n'était pas de bon augure et il espérait que tout cela ne dégénérerait pas en drame irréversible.
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...