- Quelle belle journée! s'écria le jeune homme. Vous êtes chanceux de pouvoir en profiter. Moi, je ne fais que passer. Je dois repartir pour Trois-Rivières en fin de journée et il faut que j'aille me préparer.
– Tu t'en retournes au Séminaire déjà? D'habitude tu pars le dimanche, non?
– Je dois rencontrer mon responsable d'études. Il va m'aider dans la rédaction d'un de mes travaux. Mais, je ne suis pas venu pour vous embêter avec mes histoires de Bon Dieu. Ça me fait plaisir de vous voir vous amuser comme ça. Votre père n'est pas là? Où est le petit?
Avéline lui raconta l'expédition dans laquelle son père s'était embarqué. Il fut bien heureux qu'Avéline puisse trouver un peu de répit dans sa vie plus qu'active de femme au foyer.
– Tu n'es pas sérieux quand tu dis ça, j'espère? Tu trouves que j'ai l'air d'une vieille fille déjà? Je viens à peine d'avoir dix-huit ans, ça ne se voit pas?
Elle jeta sa serviette sur le sol et fit une danse plutôt lascive devant le pauvre Jean-François qui transpirait dans son costume gris. Serge tapait des mains.
– Dans l'eau! Dans l'eau! criait-il.
Elle fit une pirouette et se dirigea vers le jet d'eau où, à force de grands gestes, elle essaya d'en envoyer au jeune homme qui reculait en riant.
– Ma foi, ta sœur est dangereusement en forme, on dirait, Serge. Vous avez mis du gin dans votre limonade ou quoi?
Avéline revint vers lui et essaya de l'arroser, son corps encore couvert de chair de poule.
– Il faudrait que tu y goûtes pour le savoir, mon petit religieux.
Il accepta, l'intimant cependant de cesser son manège. Serge riait encore aux éclats des fantaisies de sa sœur.
Elle lui servit un verre et ajouta des quartiers d'orange : « Tiens, ne le boit pas trop vite par exemple. Avec le soleil, tu vas peut-être avoir des hallucinations et voir le Christ marcher sur nos blés d'or! »
Ils riaient, heureux comme seuls les jeunes de cet âge peuvent l'être. Il goûta le breuvage et grimaça :
– Mais, dis donc, tu as vraiment mis de l'alcool là-dedans, toi?
Elle haussa les épaules.
– Peut-être que oui. Un petit peu de rhum blanc. C'est bon?
Le futur curé tendit le verre à la sœur de son ami : « Avéline, ce n'est pas raisonnable. Tu ne devrais pas...»
– Quoi, on est encore en 1900 dans ce coin de pays? J'ai le droit de m'amuser un peu.
- Du rhum? s'exclama Serge. Je bois du rhum?
Jean-François regarda tour à tour les deux amis et secoua la tête : « Franchement, tu n'as pas fait boire ça à Serge? Tu en as bu, Serge? »
Serge acquiesça, tout souriant.
– Quoi, maintenant tu vas le dire à mon père? Ça va donner quoi? On passe nos journées à marcher les fesses serrées, à faire des tâches qui n'en finissent plus. Et tu voudrais que quand le matou s'en va, les petites souris restent là à attendre le retour du maître? Arrête de faire ta sainteté et bois!
Jean-François soupira et demanda à son ami de ne plus en boire : « Ce n'est pas bon pour toi. C'est dangereux, tu comprends? »
Serge hocha la tête de haut en bas, mais de sa gorge sortait un petit rire qui ressemblait à un couinement de souris.
– Je peux te parler en privé, Avéline? Cinq minutes, pas plus.
Elle soupira longuement et le suivit jusqu'au pied de l'escalier du balcon. La radio jouait les derniers succès et Serge était déjà en train de regarder les nouveaux livres que son ami lui avait apportés.
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...