Il voulut reculer d'un pas, mais perdit l'équilibre. Se sentant basculer vers l'arrière, il essaya de s'agripper aux branches de l'arbuste, mais celles-ci craquèrent et il tomba dans le ravin en jurant.
Évidemment, Chantal avait entendu ce charivari et s'immobilisa devant le vieil homme qui gisait au fond du fossé. Elle se pencha pour l'aider à sortir. Patterson tremblait de tout son corps.
- Pourquoi étiez-vous caché, monsieur Patterson ?
- Je n'étais pas caché, je venais d'arriver et j'ai sursauté en voyant quelqu'un sortir de mon entrée. Je mis suis senti glisser sur le bord du fossé et j'ai accroché les branches.
- C'est dangereux de marcher comme ça, seul dans la nuit, sur le bord de la route. Les voitures passent vite.
- J'arrive de chez les Éthier. Je ne vous ai pas vu là-bas. Est-ce que vous allez bien ?
Il remarqua la jaquette d'hôpital trempée de sueur et les poignets enveloppés de gazes. Elle râlait. Son visage blafard l'inquiétait, mais ce n'était rien en comparaison avec ce regard halluciné qui le glaçait d'effroi.
- Mais je vais très bien, vous le voyez bien. Mais dites-moi, monsieur Patterson. Pourquoi êtes-vous allé chez les Éthier ? Quelque chose d'urgent à leur dire ?
- Urgent ? Non, pas vraiment. Je...
- Comme leur dire que j'étais là, chez vous...
-Leur dire quoi ? Vous travaillez chez le vieux Georges. Je n'ai pas besoin de...
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase et vit les bras armés de la hache se soulever au-dessus de ce gros corps difforme.
Il recula et glissa de nouveau vers le fossé, les bras tendus devant lui. Il sentit le tranchant de la hache s'enfoncer dans son bras droit. Il cria.
Chantal leva à nouveau la hache, mais Patterson roulait au fond du fossé, gémissant comme un animal perdu. Elle tenta de descendre à son tour, mais la terre s'effritait et elle faillit se retrouver au fond du ravin avec lui.
Elle se redressa et déposa la hache à ses côtés pour essuyer ses mains trempées de sueur.
- Vous n'auriez pas dû, monsieur Patterson. Vous ne devriez pas vous mêler de ces affaires-là. C'est entre moi et Avéline. Entre Serge et moi.
Patterson ne bougeait plus. Il reposait de travers, la tête au fond du fossé, les bras tirés vers l'avant. Il respirait encore, mais avec beaucoup de difficulté. La douleur était insoutenable, mais il préférait jouer au mort que de risquer de provoquer davantage cette psychopathe.
« Vous m'entendez ? demanda-t-elle à l'ombre gisant là sous ses yeux. »
Patterson ne répondit pas. Il attendait qu'elle s'en aille, mais elle demeura là, immobile, à s'essuyer les doigts sur le tissu déjà humide de la jaquette.
Puis, elle avança de quelques pas, cherchant à trouver une façon de descendre dans le fossé sans tomber. Elle descendit enfin au prix d'un très grand effort et vint se placer près de lui. Il respirait sans faire de bruit. Il s'efforça de retenir le tremblement que le secouait. La douleur était si grande qu'il crut qu'il allait s'évanouir.
« Ça y est, se dit-il, je suis mort. Elle va me planter la hache sur le crâne et continuer sa marche vers la ferme des Éthier pour y commettre d'autres violences à travers la brume de sa folie... »
Elle se pencha vers le vieil homme qui retint sa respiration. Elle poussa le corps du bout du pied :
« Hé ! Patterson? »
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...