Tentations

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George regretta aussitôt de s'être commis ainsi. C'était de la folie. Il voulut s'excuser mais l'invitation était lancée et il ne pouvait pas reculer, pas après avoir franchi ce petit pas vers une autre dimension de sa vie. Il l'observa un moment. Il admirait cette chevelure rousse, touffue, frisée, qui flamboyait tout autour de ce visage souriant. Pourtant, il y avait une certaine tristesse dans ces yeux verts qui bougeaient rapidement, cherchant quelque endroit pour se fixer. Il se demandait si elle s'exposait au soleil avec la pigmentation de sa peau, typiquement blanche chez les roux. Il la regardait bouger ses lèvres, n'entendant plus les mots qui sortaient de sa bouche. Quelque chose au sujet des vaches, de bénévolat et d'artistes peintres. Tout était vague et il ne pouvait plus focaliser sur quoi que ce soit. Il se surprit à vouloir croquer ses lèvres, gonflées peut-être par une passion renouvelée qu'il voulut cueillir à son tour.

Mais il se retint. Ils trouvèrent un petit snack bar improvisé dans un coin, pas très loin de la scène où des musiciens accordaient leurs violons et guitares en buvant une bière. Le ciel prit une teinte plutôt pourpre même si le soleil était encore accroché entre les touffes de nuages qui poursuivaient leur course vers l'ouest après l'orage.

- Les journées commencent à raccourcir, ça parait. Tu n'es pas trop jasant, Georges. Est-ce que j'ai dit quelque chose qui te déplaît?

Il voulut lui dire qu'au contraire, tout ce qui sortait de sa bouche lui faisait un effet de doux savon qui le lavait de ses chagrins. La mémoire de Thérèse s'étiolait tout doucement alors que le jour finissait de faire son oeuvre. Cette rencontre impromptue l'avait tout simplement transformé.

- Non, je t'écoute, Bérengère. Je trouve que tu as une voix aussi douce qu'une tourterelle joyeuse.

Elle éclata de rire et glissa dans ce couinement qui contrastait avec sa beauté, comme si le Bon Dieu, en la créant, avait été interrompu dans son ouvrage et avait repris son tricot humain deux mailles plus loin. Elle porta un doigt sous son nez, comme si ce geste allait atténuer le bruit distordu que ses narines faisaient.

- Tu veux parler de tourterelles tristes. Ça n'existe pas, des tourterelles joyeuses.

Puis, tapant des mains, elle tenta de faire une imitation de l'oiseau en question.

« C'est plutôt un chant plate, celui de la tourterelle. Tu pourrais me comparer à un autre oiseau, mettons, un merle ou un cardinal. »

- Désolé, s'empressa-t-il de répondre, je ne voulais pas t'insulter. Si une tourterelle joyeuse existait, elle aurait un chant bien plus agréable que celle de sa cousine.

Elle sursauta : «Ah marde de merde! Je l'avais oubliée, celle-là! »

Elle se leva, lui demanda de l'attendre un moment et s'enfuit en courant.

Georges se dit que s'en était fait de leur courte courtisanerie d'adolescents attardés. Il ne la reverrait plus, si dit-il en fouillant la foule des yeux. Elle était disparue si rapidement qu'il doutait qu'elle ne revienne jamais.

Au bout de dix longues minutes, il décida de se lever, terminant son café froid en grimaçant. « Peut-être vaudrait-il mieux que je m'en retourne dans mon coin de pays et que je l'oublie. Elle n'est pas faite pour moi, c'est tout. »

Avant de faire un pas, il l'entendit l'appeler :

« Georges! Georges, mais où vas-tu? Je veux te présenter ma cousine, la tourterelle triste. Josée, c'est Georges, le veuf dont je t'ai parlé. Georges, voici Josée Tousignant. Elle est célibataire mais c'est une vieille fille alors tu ne t'approches pas d'elle avec une pôle à rideau. Elle va te bouffer de la tête au pied. »

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant