Petit pas de danse

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Le souper se déroula en partie sans la présence de Serge qui s'était rapidement réfugié dans le boudoir pour retourner à son voyage au fond des mers, non sans avoir poliment demandé et à son père à l'hôtesse s'il pouvait quitter la table. Violette posait mille questions à Avéline sur ses études et sur les jeunes garçons. Cette dernière, que ses parents avaient tout de même bien élevée, répondit avec calme, baissant parfois les yeux ou rougissant un peu, ce qui charma Violette. Ils mangèrent tous avec appétit le repas de lasagnes aux épinards et ricotta. Georges accepta un verre de vin rouge dans lequel il trempa poliment ses lèvres, voulant à tout prix éviter de se laisser aller à des excès qui pourraient tout faire dérailler. Après un succulent dessert appelé «crème brûlée» que personne chez les Éthier n'avait entendu parlé, Avéline demanda si elle pouvait aller se promener dans le jardin pour voir les pommiers croulant sous les fruits, sous un ciel indigo d'avant-première d'un théâtre de nuit.

Georges se retrouva vraiment seul avec Violette pour la première fois depuis le début de la soirée. Il voulut se lever pour l'aider à ramasser les assiettes et les verres vides mais elle lui demanda de rester assis.

- Pourquoi êtes-vous si nerveux, Georges? Quelque chose vous tracasse?

- Rien. Tout va très bien, je vous l'assure.

- Alors pourquoi n'avez-vous pas bu votre vin? Vous y avez trempé le bout des lèvres sans en boire une seule gorgée. Vous n'aimez pas ça, du vin?

- Si, oui, vraiment, en effet, je...

Georges se trouvait ridicule de bégayer ainsi devant cette femme. Il se demandait pourquoi elle l'intimidait autant. Il croisa et décroisa les bras, jeta un coup d'oeil vers la porte entrouverte du boudoir où le crépitement du feu créait une atmosphère qui devrait être propice à la détente et à l'intimité. Pourtant, il restait sur ses gardes, acculé contre le mur de sa propre solitude. Il savait qu'il ne pouvait pas rejeter cette femme si jolie qui, visiblement, ne détestait pas avoir un homme si avenant auprès d'elle. Ce qu'il le taraudait, c'était de savoir ce qu'elle s'attendait de lui car il était incapable de déchiffrer ses gestes et ses regards. Elle posa finalement une main sur la sienne:

- J'ai vraiment apprécié que vous puissiez venir ici ce soir. Vos enfants sont vraiment charmants et je vous trouve un air de séducteur qui, en d'autres circonstances, pourrait me plaire. Ce que je vous ai dit, tout à l'heure, avant le souper, c'était vrai. Je ne suis pas prête pour m'engager dans une relation sérieuse avec un autre homme. Mais j'aimerais sincèrement que nous devenions des amis. J'aimerais que Serge vienne ici, de temps en temps, s'il le désire, pour passer un moment en compagnie des livres de mon mari. C'est un peu lui rendre hommage, vous voyez. Si ça ne vous dérange pas, bien entendu. Je ne veux rien forcer. Votre femme était une personne tout à fait extraordinaire et je m'en voudrais de lui manquer de respect en brisant ce qui vous unis encore. Ça se voit car vous me semblez incertain et craintif devant moi.

- Je suis désolé si je ne suis pas à la hauteur de vos attentes...

- Taisez-vous... Tais-toi.

Elle serra sa paume contre le dessus de la main de Georges qui se mit à transpirer. En l'espace d'à peine deux semaines, il avait croisé deux femmes fort entreprenantes qui prenaient un malin plaisir à jouer avec ses sentiments. Il en eut la vue tout embrouillée.

« Je pense qu'on est assez grand pour s'avouer les choses comme elles le sont. Je voudrais qu'on se donne la chance de se connaître, de se voir de temps à autre et voir si on aurait des affinités. Je ne veux pas te forcer... »

- Voyons, s'exclama-t-il, vous ne... tu ne forces rien. C'est juste que je ne suis pas habitué. Avec Serge, ce n'est pas de tout repos, tu sais. Ce n'est pas un enfant difficile mais il a ses manières et il faut savoir par quel bout le prendre pour ne pas le froisser. Je ne voudrais pas t'imposer ça.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant