Bérengère ressentait plus d'une émotion en revoyant cet homme devant elle.
D'abord, elle aurait bien aimé lui signifier dès cet instant combien elle se sentait bernée, comme si elle avait été partie intégrante d'une mesquine joute entre mari et femme, l'un jouant au conquérant insensible et l'autre profitant de la faiblesse de la victime pour lui faire une scène digne d'un mauvais vaudeville de campagne. Elle fut tentée de lui appliquer une bonne gifle et lui demander de s'en retourner dans les jupons de sa majesté avant qu'il ne se fasse lui aussi couper la tête, en bon as de pique qu'il était.
Mais, le fait de revoir ce beau visage si attirant et ce sourire qui ferait fondre les banquises du Grand Nord l'avait à nouveau jetée dans les griffes de la tentation. Elle aurait pu se jeter dans ses bras, l'embrasser, le supplier de l'emporter au-delà de l'Atlantique dans l'une de ses nombreux châteaux, quitte à y vivre comme une éternelle maîtresse.
Mais l'ombre de cette horrible femme ne fit que lui glacer les sangs. Il valait mieux , selon elle, s'éloigner de cet homme qui, du reste, restait un parfait inconnu.
« Vous ne dites rien et je ne puis que vous comprendre. Quelle bêtise ai-je fait là! Mais, à voir vos yeux apeurés de biche, je crains vous avoir à jamais perdue et cela je ne me le pardonnerai pas. Laissez-moi au moins vous expliquer... »
Bérengère voulut parler mais les mots se bousculèrent dans sa gorge et elle préféra se taire et se laisser porter, du moins le temps d'une explication. Après, il serait toujours temps de retourner chez sa sœur et lui demander pardon pour son éternelle bêtise.
Elle acquiesça et croisa les bras, se défaisant ainsi du toucher de l'homme.
« Cela me rassure grandement. Mais ne restons pas ici. C'est... comme dirais-je... »
- Dangereux? compléta-t-elle. Est-ce que cette horrible femme est votre épouse?
- Hélas, c'est bien pis. Et c'est bien là le problème, répondit-il, les épaules basses.
Elle se leva, posant deux mains devant elle pour éviter qu'il ne se jette sur elle :
- Alors, on n'a plus rien à se dire, monsieur. Je préfère conserver le souvenir de votre gentillesse sans les complications d'un triangle amoureux. Comme ça, je peux même ignorer votre nom sans que ça me blesse davantage.
Il essaya de se rapprocher mais elle recula, secouant la tête.
- Mais je suis tombé amoureux vous, moi!
Bérengère éclata de rire. Voilà qui était le comble. Cet homme qu'elle avait croisé quelques heures plus tôt et avec lequel elle avait à peine échangé que quelques mots s'était entiché d'elle sans connaître le milliardième de sa vie déjà assez compliquée. Qui était donc cet rembobineur de cœurs esseulés? Que devait-elle faire? Quelque chose lui criait de s'enfuir sans même cligner des yeux devant cette déclaration à l'emporte-pièce. Mais, elle était de nature curieuse et peut-être un peu trop aventureuse, ce qui n'aidait pas sa cause, aussi désespérée fut-elle.
- Vous en dites des choses graves, vous! On se connait à peine et vous êtes tombé en amour? Vous n'êtes pas plutôt tombé sur la tête? À moins que ce soit votre femme qui a le revers de la main assez solide pour vous causer une commotion cérébrale.
Il baissait les yeux. Il murmura quelque chose qu'elle n'entendit pas.
- Pardon?
Il leva les yeux et son visage rougit l'inquiéta :
- Je ne suis jamais tombé en amour avant vous.
Cette fois le rire de Bérengère attira les regards tant il était bruyant et discordant avec le calme apparent de ce début de soirée. L'homme ne savait plus où donner de la tête, cherchant à lui saisir les mains qui fuyaient. Elle retomba sur le socle de la statue, tenant ses côtes, ployées sous la douleur de son rire nerveux.
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Le silence des blés d'or
Genel KurguÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...