Une couleur du passé

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Depuis qu'il avait vu les flammes dévorer ses livres, Serge vivait dans un brouillard où il peinait à respirer. Chaque larme qui quittait ses yeux lui brûlait les joues. Il ne voyait plus le monde autour de lui comme réel. C'était comme s'il avait été plongé dans une substance gluante dans un vaste aquarium. Il voyait les silhouettes de ceux qui s'approchaient de lui, mais ne pouvait en distinguer les traits. Il pouvait percevoir les voix qui lui parlaient, mais aucun mot ne se formait dans sa tête.

Ainsi, même si Avéline lui parlait doucement pour le réconforter, il n'entendait qu'un murmure venu de l'autre bout d'une vaste pièce aux murs noirs.

Pourtant, à travers ce brouillon d'incertitudes, il crut comprendre que ces ombres qui se tenaient près de lui tendaient une main pour l'aider à émerger de cette boue visqueuse qui menaçait de l'ensevelir à tout jamais dans le silence.

– Il faut que tu manges un peu, Serge. Tu ne peux pas rester comme ça, disait-elle.

Mais il ne réagissait pas, tenant toujours le livre contre lui.

– Je crois que je vais appeler Jean-François, annonça-t-elle à Cédric qui enfilait une chemise sèche. S'il y a bien quelqu'un qui puisse le tirer de ce cauchemar, c'est bien lui. Tu fais quoi, là?

– Je vais sortir, dit-il.

– Tu vas aller où?

– Chercher de quoi manger. Tu dois rester avec lui. Je vais aller à St-Aubert et acheter des trucs.

– Tu as l'air bien pressé.

– Appelle le curé, tu as raison, ma belle. Il va pouvoir nous aider, c'est certain.

Avéline n'insista pas. Elle craignait que Cédric se défile, incapable de faire face à ce qui se produisait entre ces quatre murs. Elle l'embrassa sur la joue : « Soit prudent. »

– Oui, grande sœur. Je vais conduire prudemment et rester poli avec les madames au marché.

Il sortit sans se retourner. Elle le regarda courir jusqu'à la voiture et attendit que les feux rouges se dissipassent au loin pour appeler son mari.

Gill ne semblait pas de très bonne humeur. La petite Celia avait fait des cauchemars et Tim avait des crampes parce qu'il n'arrivait pas à faire ses besoins comme d'habitude.

– Ils sont tous les deux bouleversés par tout ça, dit-il en anglais. Je ne sais ce qu'il t'a pris, mais je ne t'ai jamais vu réagir comme ça, Avy.

– Je suis désolée, mais lorsqu'il s'agit de mon frère, je perds un peu mes moyens. J'espère que tu vas me pardonner Gill. Je l'espère vraiment parce qu'il y a autre chose.

Elle l'informa de ce qui s'était produit avant le lever du soleil, de la visite des policiers, de l'état de santé de Serge et de son désir de demeurer à la ferme jusqu'à ce que tout soit rentré dans l'ordre.

– Autant dire que tu vas prendre un congé sabbatique de six mois, répliqua Gill d'un ton plus sec qu'à l'habitude.

– Ne me rends pas la tâche plus difficile, chéri. Tu veux venir ici avec les enfants avant de partir? J'aimerais bien qu'on soit un peu en famille après toutes ces émotions. Je veux les rassurer et surtout, je veux te voir, toi.

– Je n'ai pas de problème avec ça, Avy, mais je ne veux plus de crise comme ça. Et ne me mets plus jamais ces responsabilités sur le dos. J'en ai déjà assez comme ça.

Ils se donnèrent donc rendez-vous vers midi à la ferme et Avéline, dès qu'elle eut raccroché, s'affaira à tout ramasser. Elle ouvrit les fenêtres et secoua les couvertures et sacs de couchage. Serge ne broncha pas, toujours aussi loin de la réalité.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant