« La seule chose qu'il faut voir, c'est que chaque fois qu'il y a un pas de fait en avant, il se peut que ça recule un brin, mais jamais d'autant. Ça montre qu'il n'y a rien de gaspillé, en fin de compte, malgré que des fois on pourrait croire le contraire. » [#27 - Les raisins de la colère, John Steinbeck]
Encore une autre journée qui s'étirait sans fin à l'horizon. Serge était seul, encore une fois, devant l'éternité. Il observait le ciel prendre des teintes d'indigo alors que le soleil descendait vers l'horizon.
Il se sentait en paix. Ce sentiment qu'il avait perdu de vue depuis quelques mois vint l'envelopper, deux bras le ceinturant étroitement. L'un de ces bras, la chaleur du jour, était celui de ces femmes qui l'avaient accompagné au cours de cet après-midi. Un bien-être maternel qui se mariait bien avec l'autre bras, celui de l'amour, plus intense, plus troublant aussi.
Cette longue promenade avec Avéline et Violette s'était faite cérémonieusement, presque toujours sous le couvert d'un silence laineux, où chaque son se faisait entendre à travers un méandre de chuchotements mélodieux.
Un silence qu'ils apprécièrent enfin. Ce calme que tous avaient espéré après la cérémonie d'adieu au père, après la lecture des dernières volontés et surtout après le départ de ces gens qui n'étaient pas au cœur de ce nœud fraternel. Ils avaient pourtant perdu Cédric en cours de route. On aurait pu juger cela comme un juste retour des choses, avec l'arrivée inopinée de Violette. Mais la douleur de son absence allait laisser une cicatrice sur leur passé qu'il valait mieux cautériser avec tout ce qui restait d'amour entre eux.
Les trois êtres errant ainsi dans la vastitude des blés d'or qui se balançaient au gré d'une légère brise encore chaude peignaient un tableau transpirant une quiétude qu'on pourrait leur envier. Malgré la douleur qui les habitait encore, qui sourdait constamment, ce calme leur redonnait vie.
Serge remuait ses paroles à l'intérieur de sa tête. Il voyait une sauterelle et une valse de mots remontait dans sa gorge. Il souriait. Une sittelle à poitrine rousse faisait une pirouette au ras la barbe des épis et une nouvelle salve de pensées giclait, l'arrosant de bonheur. Il aurait presque souhaité que ce silence demeure à jamais ainsi entre eux. Il n'était plus nécessaire de parler. Tout était dit. Ce n'était pas une fin, mais une renaissance.
Il était pourtant las. Cette fatigue qu'il taisait lui pesait. C'était non seulement une fatigue physique, mais également le poids de ce vide qui occupait de plus en plus de place dans sa vie.
Pouvait-il vraiment aborder cette nouvelle façon de vivre sans se questionner sur le sens réel de cette solitude dans laquelle il s'était recroquevillé depuis quelque temps ? Certes, la perspective de la mort de Georges lui avait donné des raisons de contester ce futur embrouillé qui allait s'ouvrir devant lui. Mais, maintenant que le vieil homme n'était plus là, il fallait faire face à cette symphonie de silences et de murmures intérieurs. Ils avaient toujours eu comme remparts la présence de quelqu'un pour conjuguer avec la complexité de son intérieur et les intrications du monde extérieur, bien réel.
Il pouvait clamer haut et fort qu'il ne voulait pas laisser la maison de ses ancêtres pour des raisons d'attachements. Il se convainquait qu'il se perdrait à fermer la porte une dernière fois sur tout ce passé qui l'avait construit. Il allait se retrouver à nu dans cette jungle folle où tout ce qu'il côtoierait serait ligué contre lui, à le détruire définitivement. Mais, la réalité de ce que cette défense créait était en fait bien pire. En s'isolant ici, sur cette terre où la vie n'existait qu'avec Georges, Avéline et Cédric, dans sa solitude, il érigerait de bien plus hautes barrières et sombrerait dans la folie.
C'est avec ces pensées qu'il marchait le long des céréales qui chantaient tout doucement leur mélodie céleste.
- Il me faudra partir pour mieux rester.
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Le silence des blés d'or
General FictionÀ la mort de son père avec qui il a vécu toute sa vie, Serge, autiste, hérite de la terre familiale, une ferme centenaire qui a connu de meilleurs jours. C'est une surprise à laquelle personne ne s'attendait. Bien vite, les membres de la famille, le...