Deux solitudes

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Mais voilà qu'un reportage entendu sur les ondes de la radio d'État, dans le cadre d'une émission intitulée « Bien dans son assiette », en regard de la renaissance possible de la culture du blé biologique au Québec, avait ranimé son intérêt pour son coin de pays et par ricochet, la mémoire de Georges Éthier.

Bien qu'elle fut convaincue que l'homme n'était plus, tout comme elle, dans la fleur de l'âge, la tentation de renouer contact la tenailla. Jusqu'à ce qu'elle risque, par un beau matin de mai, de faire un appel à la ferme.

D'abord, la voix qu'elle entendit ne lui disait rien. C'était celle d'une femme au souffle court, au ton sec et plutôt craintif :

– Est-ce que je peux savoir qui le demande ?

Violette aurait préféré raccrocher plutôt que de subir cet interrogatoire plutôt mal venu.

– Mon nom est Violette. George sait très bien qui je suis. Est-ce que c'est Avéline qui parle ?

– Avéline n'habite plus ici, madame. Qu'est-ce que vous voulez au juste ?

Elle avait une autre raison de clore cet appel avant que cela ne dégénère en échanges inconvenants.

- Est-ce que Serge est là ? demanda Violette, certaine que la personne au bout du fil allait enfin comprendre qu'elle n'était pas une pure étrangère ou un agent chargé de vendre de l'isolation dans les combles ou une nouvelle thermopompe sous prétexte de rabais du gouvernement.

Il y eut un silence puis un long soupir : « Serge n'est pas en mesure de prendre l'appel. Il est occupé. Est-ce que je peux enfin savoir pourquoi vous appelez ? Vous me dérangez dans mes plans.

Violette s'excusa pour une troisième fois et c'en était assez. Elle lui dit qu'elle rappellerait plus tard pour parler avec Georges.

« Écoutez, madame. Je ne pense pas que monsieur Éthier sera en mesure de prendre l'appel. Il est dans le coma depuis un bon bout de temps. »

– Un coma ? Georges est dans le coma ? Mais...

Elle prit un moment pour digérer la nouvelle. Elle se sentait pressée d'en savoir plus, mais cette femme, avec le ton qu'elle venait d'employer, ne se prêterait pas à des confidences autres que cliniques, surtout si elle insistait.

- Êtes-vous Bérengère Lavoie ? demanda la voix à l'autre bout du fil.

Le seul souvenir de ce nom provoqua un frisson tout au long de la colonne vertébrale de Violette. Ainsi, cette mauvaise femme n'était plus dans les parages. Elle ne savait si elle devait s'en trouver rassurée ou complètement désespérée. Et si leur aventure n'avait duré que quelques semaines et que Georges avait tenté de la rejoindre alors qu'elle n'avait laissé aucune trace de ses déplacements au cours de ces dernières années ? Et si elle était restée un peu plus longtemps pour revendiquer, en quelque sorte, son amour pour le pauvre homme ? Qu'en serait-il de leurs vies maintenant ? Ce serait elle qui serait à son chevet pour le soigner, pas cette inconnue qui lui parlait avec autant de rudesse.

– Je vous ai dit que je m'appelais Violette. Écoutez, je voudrais en savoir un peu plus sur l'état de santé de monsieur Éthier. Nous avons été proches, il y a un certain temps, et je me sens mal de vous importuner comme ça. Je voudrais simplement savoir.

Sa voix se brisa. L'émotion la gagnait. Trop de souvenirs la submergeaient.

« Et si je peux faire quelque chose pour Serge et Avéline... »

La femme répéta la dernière phrase de Violette calmement puis dit : « Est-ce que vous savez quel est l'âge des enfants de monsieur Éthier ? Franchement, ils sont majeurs et vaccinés... »

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant