Fadette

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Il n'y avait pas foule en cette fin d'après-midi plutôt nuageuse. Elle observa un moment les employés en livrées, affairés aux mille et une tâches de leur quotidien. Il y avait une certaine lumière dans leurs yeux malgré l'empressement qu'ils avaient à servir les clients souvent très exigeants ou éternellement insatisfaits, comme s'ils baignaient dans un autre monde, touristes eux aussi, à leur manière.

Elle entrevit une grosse dame qui se dirigeait droit sur elle. Elle avait l'air enragée, bousculant toute personne qui obstruait son chemin, employés ou clients. Comme elle approchait de l'endroit où la jeune femme se trouvait, cette dernière fit un pas de côté pour lui céder le passage. Mais malgré ce geste préventif, la grosse dame, lorsqu'elle arriva à sa hauteur, fit tant de grands gestes qu'elle bouscula le serveur qui se tenait de l'autre côté de l'allée et de ce fait envoya le plateau qu'il portait dans les airs avec tout son contenu. La théière remplie d'eau chaude éclata en mille morceaux au pied de la pauvre Bérangère qui poussa un cri de terreur.

Sur le coup, la dame se retrouva figée sur place, regardant autour d'elle, décontenancée d'être soudain le centre d'attraction du moment. Elle leva le nez, comme pour les défier tous mais cette attitude hautaine chassa la douleur qui faisait grimacer Bérengère et elle éclata d'un rire si sincère qu'il détendit tout à coup l'atmosphère.

Évidemment, le serveur, toujours dans sa bulle, se confondait en excuses, tâchant de ramasser les bouts de porcelaine tout en épongeant le thé qui imbibait le tapis.

La grosse dame, voyant que ses frasques n'avaient pas atteint la jeune femme, porta ses grosses mains à ses hanches et fut, à son tour, emportée par le rire de sa victime.

- Toi, ma petite pouliche, tu mérites un prix, s'exclama-t-elle, l'accent du Sud de la France déformant sa bouche. Je peux m'asseoir?

Avant même que Bérengère ne puisse ouvrir la bouche, la dame s'assit et tendit la main :

- Fadette, c'est mon surnom et ça suffira pour le moment!

- Bérengère Lavoie. Contente de vous avoir rencontrée.

Elle serra timidement la main mais fit la grimace en sentant le serrement de douleur qui collait à la peau de ses jambes.

- Qu'est-ce que je suis bête! Garçon, jeune homme, cessez de gratouiller à nos pieds et courrez chercher une trousse. Ma nouvelle amie a subi des brûlures à cause de votre maladresse. Ouste!

Bérengère regardait Fadette gesticuler, nerveuse et eut l'impression que cette dernière allait exploser tant son visage était empourpré. Elle regarda autour d'elle et fut soulagée de constater que la plupart des gens qui étaient assis autour d'eux vaquaient à d'autres occupations bien que certains jetaient des coups d'œil sur l'étrange couple qui venait de se former.

Elle leva les yeux, cherchant du regard cet homme dont elle ignorait toujours l'identité. Peut-être avait-il finalement changé d'idée ou, pis encore, il venait de lui poser un lapin, ce qui l'aurait par ailleurs fort insultée.

Puis, avant qu'elle porte de nouveau son regard sur la dame, elle le vit apparaître brusquement à l'entrée, le regard désespéré. Il secoua la tête, fit volte-face et se tourna à nouveau devant eux en posant une main sur ses lèvres, comme pour l'intimer au silence. Bérengère fronça les sourcils.

- Qu'est-ce qu'il lui prend tout à coup? se demanda-t-elle.

Mais avant qu'elle puisse deviner ce qui se passait, Fadette se tourna mais l'homme se cacha derrière le mur, juste avant qu'elle ne puisse le voir.

- Tu as l'air tracassée, petite. Est-ce que ça brûle? Ah la-là. Ces crétins de serveurs éduqués dans la tradition canadienne de sauvageons. Je vais leur en glisser un mot à la réception, je te jure.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant