Je le déteste

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Je ne veux embêter personne. Une de mes résolutions de cette année. Alors pourquoi me force-t-il à faire ça ?

À prendre un bol de culpabilité pour le petit-déjeuner et à remuer mes idées noires avec ma cuillère. Une par une, je les ai regardées couler au fond bien que j'essayais de les retenir à la surface. La seule option qui me restait était d'avaler tout.

Après deux semaines, je m'efforce. Non, rectification : il me force.

À le rattraper dans un couloir après ce qu'il a cru être un guet-apens.

Parce que dès qu'il m'a vu, marchant à grands pas dans sa direction, une expression déterminée au visage, il a fait subitement volte-face pour remonter le couloir.

Devant cette réaction de fuite, quiconque n'aurait pas insisté. Surtout dans le cas où c'est un adulte qui fuit l'enfant. Mais moi, je suis obligée. Parce que c'est de ma faute et de mon attitude bornée.

Je réussis à le doubler pour me poster devant lui. Il ralentit le pas mais ne s'arrête pas.

― Mlle Cibo, me salue M. Sullivan avant de me contourner.

Dehors c'est le grand bleu de l'été. Nous sommes en plein après-midi et la chaleur est étouffante. L'automne s'installe subtilement par touches de rouille sur les feuilles vertes. Pour moi, l'automne est rouge parce qu'il fait saigner la nature.

Mon cœur cogne contre mes côtes et j'ai bien peur qu'il ne s'érafle contre mes os aiguisés. L'automne est déjà là. À l'intérieur de moi.

Il n'y a personne d'autre que nous. C'est maintenant ou jamais.

― Monsieur...

Le ton de ma voix l'interpelle et l'arrête. Il me jette un regard curieux par-dessus son épaule.

Pourquoi me force-t-il à faire ça ?

Ma voix est rouillée, affectée par le temps que je mets à trouver une once de courage dans mon être pour lui remarquer :

― Vous n'étiez pas là.

À mes intonations hivernales, il se tourne complètement pour me faire face et penche légèrement la tête sur le côté en me scrutant de ses yeux printaniers.

― Hmm? Ah, à l'arrière-cour tu veux dire ? J'avais des choses à faire.

Je baisse la tête. Déçue.

― Je vous ai attendu.

La surprise le fige.

― Je pensais que tu ne voulais plus de ma présence, dit-il lentement.

Je hausse les épaules, embarrassée.

― C'est ce que j'ai dit en effet.

Je sonne comme une gamine lunatique et capricieuse. Quelques secondes passent. Puis il lâche un petit rire. Plus amusé que moqueur.

Pourquoi me force-t-il à faire ça ?

À l'embêter en personne.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant