La Balafrée

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Deux jeunes filles qui fuient le monde, rasent les murs en faisant le vœu de devenir des caméléons.

Marnie s'est cognée contre moi car elle ne lève jamais les yeux plus haut que le sol. Et moi, j'étais occupée à chercher la silhouette de mon professeur préféré du regard par-dessus la foule d'étudiants.

Le choc nous a fait reculer toutes les deux.

Hébétées, nous nous sommes dévisagées.

Et la corbeille de papiers qu'elle tenait entre ses mains s'est renversée. Je n'ai fait aucun geste pour la rattraper. Mes yeux, passifs, ont observé les boules de papiers roulés au sol.

- Pa-pardon, bredouille-t-elle.

- Hum non c'est moi, je réponds en m'accroupissant pour l'aider à ramasser les déchets.

- Vous vous entraînez pour le futur ?fait remarquer une voix moqueuse.

Nous ne levons pas les yeux et l'ignorons.

- De vraies clochardes, rit-elle avec son groupe d'amies qui se met à glousser.

Je me reçois une boule de papier sur le crâne. Marnie la ramasse à la vitesse de l'éclair pour la fourrer dans la corbeille.

- Hé la Balafrée ! J'ai entendu que le cirque recrutait. Tu gagnerai pas mal tu sais...

La nuque de Marnie ploie encore plus sous les remarques. Serrant les dents, j'attends qu'elles s'éloignent et lui prend la corbeille des mains.

- Ah !s'exclame-t-elle de surprise.

A grands pas, je vais jusqu'à l'escalier et les repère un étage plus bas à descendre les marches.

Ces saletés.

Je renverse la corbeille sur elles et une pluie de déchets leur tombe dessus.

Marnie se tient au rebord à mes côtés et observe avec moi les filles gesticuler d'horreur en secouant leurs cheveux et leurs vêtements.

C'est l'hilarité générale à l'exception des victimes qui vont se réfugier aux toilettes sans même chercher l'auteur de leur malheur. Moi, entre autres.

Satisfaite, je me détourne et Marnie me suit automatiquement.

- Kylie, tu es vraiment incroyable, me dit-elle.

Ces mots ont failli me faire trébucher. Je la regarde comme si elle était tombée sur la tête.

- Non, je suis une fille lamentable.

- Je suis tombée sur un de tes poèmes.

Cette phrase sort de nul part et cette fois je trébuche. Je m'arrête et me tourne vers elle.

- Hein ?

Elle baisse rapidement la tête et je ne vois plus que ses lèvres qui répondent :

- Ou plutôt des brouillons de tes poèmes.

Le rouge me monte aux joues. Personne n'a le droit de me lire. En jetant mes esquisses à la poubelle, j'ignorais que quelqu'un allait tomber dessus. C'était le contraire que j'espérais.

En remarquant mon expression grincheuse, elle sursaute paniquée.

- Je n'ai pas fait exprès. Tu as jeté le papier à côté de la poubelle et mes yeux sont tombés par accident sur les lignes que tu avais écrite.

Son index gratte sa joue par la nervosité qui la gagne tandis que je la fixe intensément.

- Ce n'est pas de ta faute. Je les brûlerai la prochaine fois.

- Pou-pourquoi ?bégaye-t-elle horrifiée.

- Parce qu'ils sont mauvais.

- Moi je les ai trouvé bons.

Ma bouche se referme sous la surprise. Un sourire étrange tord ses lèvres.

- Ce n'est qu'une question de point de vue, déclare-t-elle. Même en mauvais état, tes poèmes ne perdent pas leur valeur. Les gens n'ont aucune idée des trésors qu'on peut trouver dans les poubelles.

Sur ces mots, elle s'éloigne d'un pas furtif, sa frêle épaule frôlant le mur et sa corbeille à la main. Je la regarde disparaître à l'angle d'un couloir.

Une main tapote mon épaule et je sursaute pour me tourner vers M. Sullivan.

- C'était pour quoi ce sourire ?

Mon visage redevient aussitôt lisse et il esquisse une moue boudeuse et déçue.

- Oh. Il a disparu.

- Ne blâmez que vous-même, je dis froidement.

Il se racle la gorge.

- Alors...comme ça on renverse les poubelles sur ses camarades ?

Mon expression le fait éclater de rire.

- Tu viens de confirmer mes soupçons ! Elles devaient sûrement le mériter.

Je hausse les épaules et finit par hocher la tête avouant mon crime. Il secoue la tête en prenant un air désapprobateur.

- Fais attention à ce que ça ne retombe pas sur toi.

Dubitative, je ne renchéris pas. Quoi que je fasse, ça allait retomber sur moi et je ferais en sorte que ça tombe sur moi et non sur Marnie.




Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant