Un père

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Les yeux dans le vague, j'appuie sur le bouchon de mon stylo.

Clic. Idiote.

Abrutie. Clic.

Clic. Stupide.

Moi. Clic.

Clic. Clic. Clic. Clic. Clic. Clic. Clic. Cl..!

Une main se pose sur mon stylo pour arrêter mon pouce rageur. Ce contact me fait sursauter et je lève les yeux vers M. Sullivan qui me sourit les sourcils froncés. Il a l'air un peu agacé.

- Tu en fais du bruit.

Des gloussements retentissent autour de nous et je me souviens qu'on est en plein cours. Sagement et un peu ridiculisée, je repose mon stylo. Face à ma mine contrite, M. Sullivan s'adoucit et me désigne impérieusement mon cahier ouvert sur deux pages blanches. Oups.

- On écoute et on note ce que je dis jeune fille, hm ?

Mortifiée, je hoche la tête. Alors il continue à marcher pour revenir vers le tableau.

- Quelqu'un peut-il me dire quelle est la différence entre l'oral et l'écrit ?

La question de M. Sullivan est accueillie par un silence assourdissant.

La mâchoire dans ma main, je lève l'autre pour ne pas le laisser tomber.

- Oui ?m'encourage-t-il et il a l'air agréablement surpris.

- La différence est qu'il n'y a pas d'interlocuteur lorsqu'on écrit tandis qu'à l'oral si. A moins que ce ne soit un monologue.

Il acquiesce et son air satisfait m'indique qu'il apprécie plus ma participation que ma réponse.

J'ai un petit sourire malgré moi.

Toujours là pour toi.

- Principalement, dit-il en se tournant vers la classe. Néanmoins il y a d'autres différences. A l'oral, les phrases peuvent être interminables du moment qu'il y a du souffle dans vos poumons.

- A l'écrit aussi on peut avoir des phrases interminables, intervient un élève au premier rang.

- Certes mais lorsque vous parlez, vous n'allez pas visualisez les majuscules, les virgules, les points car tout ce qui est ponctuation n'existe que par l'écrit et...

- Appelez quelqu'un ! N'importe qui !hurle une voix paniquée dans les couloirs.

M. Sullivan lève la tête, interrompu en plein milieu de sa phrase.

- Quoi encore?marmonne-t-il le regard orageux derrière ses lunettes.

D'autres élèves courent dans les couloirs et c'est un tel tapage que certains commencent à se lever de leurs chaises, curieux et craintifs.

- Restez assis, ordonne M. Sullivan.

Mes yeux se déplacent sur la place vide à côté de moi et j'ai tout à coup un terrible pressentiment.

Tout à l'heure. Cette manière qu'il a eu de regarder le père de Marnie lorsque ce dernier est entré dans le bureau du proviseur. Cette haine irascible et brûlante qui émanait de tous ses pores. Je n'ai pas compris pourquoi et j'ai peur d'en connaître la raison. Savait-il quelque chose que j'ignorais ?

Je tourne alors la tête vers la fenêtre car un mouvement a attiré mon regard vers la cour.

Caleb traîne le père de Marnie par les cheveux.

- Kylie !

La voix sévère de M. Sullivan atteint mes oreilles au moment où j'ouvre la fenêtre et que je saute dehors. Je ne m'arrête pas pour autant. Je fonce vers Caleb qui est en train de tabasser le pauvre homme à terre.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant