Agapè (Sweet Lessons)

Sisyphe

Un livre entre les mains, il marche jusqu'à ma table. Il me tape gentiment la tête avec, avant de le poser sur mon bureau au-dessus de mon manuel.

- Ce n'est pas le moment de rêvasser.

A ma droite, Caleb ouvre un œil ensommeillé.

Lui aussi était ailleurs. D'après mon oncle, ses heures de service public lui volent ses nuits. Il est épuisé.

Quant à mon excuse : l'objet de mes rêves se trouve debout devant moi.

M.Sullivan pousse un soupir face à notre duo de mauvais élèves.

- Écrivez une lettre pour la semaine prochaine et ce sera votre note.

Alors Caleb prend une feuille. Il écrit un grand A dessus et lui tend. Avec un grand sourire en prime.

- Et voilà.

Tandis que j'ai les yeux ronds et que je bataille avec un rire de stupéfaction, M. Sullivan ne semble pas trouver la blague plaisante.

- Si vous aimez tant que ça porter préjudice à la classe, vous irez en retenue et vous m'écrirez deux essais.

Puis je réalise qu'il s'adresse également à moi.

J'ouvre la bouche pour protester tandis que Caleb repart dans sa sieste avec un haussement d'épaules nonchalant.

- Mais je n'ai rien..., je commence.

- Est-ce que tu as entendu ce que je t'ai dit ?m'interrompt-t-il.

Ce tutoiement est intimidant. C'est celui utilisé par les forces de l'ordre. Ce faux rapprochement intime mais brutal. Cette autorité incontestable qui s'affirme et qui me glace.

C'est cette lueur froide dans les yeux. Il a l'air déçu. Je ne peux m'empêcher de le prendre personnellement.

- Ce n'est pas une attitude convenable de la part de vous deux. Vous passez sûrement une phase difficile mais cela ne veut pas dire que vous êtes immunisés. Et toi, Kylie, tes notes sont en chute libre et c'est très décevant de ta part. Il faut que tu comprenne que dans l'avenir, la pratique deviendra encore plus rude. Demande-toi si tu as la force nécessaire pour suivre le rythme des cours.

C'était si soudain. Je n'ai pas su répliquer.

Ses mots résonnent encore dans ma tête alors que je marche le long du fleuve.

Son expression à ce moment-là.

Je ne peux pas m'empêcher de le voir comme Ash et non comme M. Sullivan ou le professeur de littérature des Secondes.

Les larmes perlent au coin de mes yeux tandis que la frustration monte en moi.

Je me sens impuissante.

C'est ça décevoir les attentes de quelqu'un que vous tenez en haute estime ? Je suis si déçue de moi.

Après tout ce que j'ai fait, ce n'est pas suffisant. J'ai beau me relever, c'est comme si on me plaquait de nouveau à terre. J'ai beau pousser et rouler ce rocher de toutes mes forces jusqu'au sommet, mes petits bras me trahissent et son poids finit par m'emporter jusqu'en bas.

Je laisse mes larmes me brûler les joues et je traverse le pont en courant.

J'ai envie de hurler.

Je suis Sisyphe.
Tenace mais naïf.
Je cherche le châtiment.
Je cherche le tourment.

Du pied jusqu'au sommet.
J'y suis presque mais.
Le fardeau que je porte.
Cruellement m'emporte.

Vers le bas je tombe.
Jusque dans la tombe.
Encore je recommence.
Niant tout expérience.

Ma vie n'est qu'un jeu.
Une punition des dieux.
J'attends qu'on me relève.
J'attends qu'on m'achève.

Je ne suis pas un héros.
Je suis juste un zéro.
Effort inutile et vain.
Tel est donc mon destin.