Agapè (Sweet Lessons)

Un conte

In extremis.

Il a posé ses doigts entre nos lèvres pour empêcher le baiser d'avoir lieu.

Je le relâche immédiatement, blême en ressentant le rejet me foudroyer corps et âme.

- Nom. De. Dieu, souffle-t-il en reculant doucement et en évitant de croiser mon regard.

Il est mal à l'aise. Pas besoin de le dire pour le voir. Toute la tension l'habite.

Il me retient par le bras. Un poids mort dans sa poigne ferme et alerte. Mes cheveux retombent en rideau pour cacher mon visage. Mes yeux sont écarquillés par la panique et je halète en silence.

Je vais m'évanouir.

Je dois m'évanouir.

Oh non. Non non non non. Par pitié.

- Je suis désolé si mon comportement t'a laissé croire...

Il ne finit pas sa phrase. Il n'en a pas besoin.

Oui.

J'ai cru.

Que l'attirance était mutuelle. Que nos sentiments étaient partagés.

Voilà pourquoi je ne touche pas à l'amour.

C'est une humiliation. C'est une illusion.

- Je vous aime, je confesse.

- J'ai entendu la première fois.

Je lève les yeux et il me faut toute la force du monde pour le faire et soutenir son regard. Pour voir la tristesse dans ses yeux verts. Pour voir sa pitié.

- Je...je ne vous l'ai jamais dit, je bredouille confuse.

Ses yeux descendent sur mes lèvres.

- Tu l'as dit sans le dire.

Mes trois mots muets.

- Mais...

Un bruit extérieur nous fait sursauter.

Il pose une main sur ma bouche et tourne la tête en direction du couloir. On entend un bruit de pas suivis d'une ombre qui passe sans nous voir.

Son corps est tout raide et il laisse finalement tomber sa main pour me regarder en face.

– Je suis professeur et mon devoir est de guider les élèves pas de les faire tomber amoureux de moi, dit-il tout bas.

– Je suis désolée.

– Écoutes, il faut que tu comprennes que c'est impossible. Je suis ton professeur et tu es mon élève. Je suis un adulte et tu es une enfant.

– Nous sommes tous les deux des êtres humains, je proteste.

Il soupire, irrité.

– Kylie, promets-moi de ne plus faire ce que tu viens de faire. C'était mal. Quelqu'un aurait pu remarquer quelque chose et les rumeurs s'amplifient vite ici.

Sa voix basse et douce sonne comme un baume à mes oreilles. Il est penché vers moi et je ressens cette familière proximité entre nous comme si on m'avait branché une onde vibrante.

– Je suis désolée, je répète sincère en fixant le bout de ses chaussures.

– Bien. Je te raccompagne maintenant.

Inutile de vous dire que M. Sullivan ne m'a plus accordé aucun regard ni un seul mot après cet événement. Je sais ce qu'il faisait. Il redevenait le professeur et me remettait à ma juste place : l'élève.