Agapè (Sweet Lessons)

Transparent

Posée sur sa marche, le journal de Marnie ouvert sur mes cuisses, je lis la suite de son histoire d'amour, le cœur déchiré entre la tristesse et la joie.

{ Est-ce normal de tomber amoureux de quelqu'un dont vous ne connaissez pas le prénom ?
Est-ce normal de tomber amoureux de quelqu'un qui, à votre première rencontre était en larmes ?
Est-ce normal de tomber amoureux de quelqu'un à qui vous cachez votre visage ?

Non, c'est moi qui doit être anormale.

Je l'ai rencontré sur le chemin du retour de l'école.

Le même âge que moi.
Un garçon.
Qui pleurait dans son coin.
Je ne sais pas pourquoi.
Devant ce garçon.
Je me suis arrêtée coite.

Les larmes dévalaient paisiblement ses joues comme deux rivières de tristesse. Les soupirs qui sortaient de son torse semblaient l'exténuer. Les yeux rouges, il avait cet air hagard et vidé, l'esprit brouillé et regardait ailleurs. Il avait du mal à déglutir et sa respiration était tantôt entrecoupée tantôt profonde.

Transparent est le mot qui m'est venu à l'esprit en le voyant pour la première fois.

Parce qu'il était traversé par les rayons du soleil comme si son corps absorbait toute la lumière de l'astre.

Parce que je voyais la nudité de son cœur dans ses yeux emplis d'une peine amère et que si je le voulais, je n'avais qu'à tendre une main et caresser ses larmes pour ressentir à mon tour cette émotion qui le rongeait.

Parce que je voyais à travers lui.

Parce qu'il ne se cachait pas.

Je n'ai jamais vu ça chez un garçon. Il ne pleurait pas comme une fille mais comme un homme.

Il était beau.

Mes bras me démangeaient de le serrer. Mes jambes me démangeaient de courir jusqu'à lui. Toute mon âme me démangeait furieusement. La raison pour laquelle j'étais plongée dans cet état catatonique était parce que j'étais sidérée de cette vision intime qu'il semblait offrir au monde à son insu.

Ses larmes sacrifiaient son ego et il les laissait volontairement couler comme s'il était prêt à s'y noyer dedans.

Oui, il était transparent et c'était un pouvoir que je lui ai immédiatement envié.

Malheureusement.

Il a fini par me remarquer.

Comme s'il revenait en premier plan, une lumière a brillé dans ses yeux mordorés. Je me suis presque vue floue dans sa vision avant que je ne devienne parfaitement nette.

Piégée dans les lentilles de sa caméra, il a cillé une fois.

Flash !

Capturée, je ne pouvais plus bouger. Mon corps était pétrifié, mon âme tétanisée.

Je venais de me découvrir un incroyable talent de statue vivante.