Agapè (Sweet Lessons)

Meurtrière

Une vie en prison ?
Pas pour moi.
Dirais-tu ?
Regarde autour de toi.
Nous sommes déjà une génération d'incarcérés.
Dont chaque être humain représente un barreau.
D'une prison aussi large que l'humanité.
Alors comment s'en libérer ?
Signée : La Meurtrière.

Léo Daniels et Alex Cibo-Daniels ont trouvé la mort le 4 Avril 2016. Alex n'avait que 15 ans. Un mois plus tard, j'avais 16 ans. Dans un mois je vais avoir 17 ans.

Je répète ces pensées/chiffres en boucle dans ma tête alors que ma maison est envahie par le clan Cibo.

Mon oncle, Lionel Daniels, s'assoit sur la chaise libre à côté de moi. Elles sont toutes libres. Nous nous sourions sans grand enthousiasme. Il n'a pas l'air d'être à sa place parmi les convives. Moi non plus.

– J'ignorais qu'il existait ce concept d'anniversaire de leur mort. Il n'y a rien à fêter, remarque-t-il en vidant une coupe de vin.

– Ils sont morts. Assassinés. C'est un anniversaire de leur assassinat.

Il me regarde avec un peu de recul.

– Quel cynisme, ma nièce.

– Merci, mon oncle. Je n'ai été prévenue de cette soirée qu'à la dernière minute donc je suis désolée si je ne transpire pas la joie.

– Et moi donc ! J'ai reçu l'invitation ce matin même et j'ai cru à une blague de mauvais goût.

– Ha ha ha, je ris funèbrement.

D'un mi-sourire, il plisse des yeux avant de fixer un point devant lui.

– Je te jure. Je ne comprends pas ta mère. Mon instinct de détective me crie qu'elle a des secrets.

Je suis la direction de son regard.

Très Chère Mère est vêtue d'une robe noire au tissu fluide pareille à de l'eau. Sa beauté n'a d'égale que sa froideur aussi vaste que le pôle Antarctique. Son sourire a le pouvoir de glacer le sang dans mes veines et j'ai dû mal à concevoir que nous partageons les mêmes gênes. Quant à moi je porte une robe bleu nuit qui scintille subtilement à chacun de mes mouvements ainsi que des talons blancs qui me rehaussent la taille. Et je me sens comme Cendrillon, à guetter minuit anticipant la fuite désastreuse dans cette tenue.

– Que dit ton instinct de détective sur moi ?je m'enquis par curiosité.

Mon oncle met du temps à répondre alors qu'il me dévisage.

– Telle mère, telle fille, répond-il lentement mais sérieusement.

Je n'ai pas le temps de ressentir quoi que ce soit que Marc s'assoit à ma droite.

– Shérif, salue-t-il mon oncle avec un léger soupçon de moquerie dans la voix.

– L'avocat...

Je ne peux m'empêcher de mettre mon grain de sel en ajoutant :

– Fille qui va vous laisser entre vous.

Sur ces mots, je me lève pour aller me chercher un verre. Je veux du jus de raisin. Alors que je me faufile entre les convives, je ne peux m'empêcher de sentir des regards qui me suivent. J'ai l'impression qu'on a éteint la lumière et que des yeux rouges s'allument dans le noir tous tournés dans ma direction.

Une goutte de sueur coule le long de mon échine.

J'aurais dû me douter.

Qu'ils allaient me tomber dessus comme des vautours. Ils avaient attendu une année pour m'attraper dans leurs serres.