Agapè (Sweet Lessons)

Très Chère Mère

Élise Cibo a été le genre de fille élevée à l'ancienne éducation de riches. Elle n'a jamais manqué de rien et surtout elle a toujours eu ce qu'elle voulait depuis le berceau. Elle est convaincue que sa prospérité continuera au-delà de sa tombe. C'est pourquoi, elle affiche un sourire hautain et un sourcil finement dessiné un petit poil surélevé que l'autre en permanence.

Très Chère Mère est son pseudonyme que je lui ai attribué en cachette. Dégoulinant de sarcasme.

Très Chère Mère a les yeux fixés sur moi dès que je pénètre dans la cuisine. Du bout des lèvres, elle sirote son thé au jasmin, ne prenant pas – jamais – le risque de se brûler la langue.

Je prends mon café au lait de soja et je m'assieds au bar, tournant le dos à ma mère assise à table, à sa place habituelle. Son trône, si j'ose l'appeler ainsi. C'est de là qu'elle fait son jugement matinal de reine pour la semaine

– Tes notes ont baissé en histoire. Fais en sorte que je ne sois pas obligée d'intervenir auprès du professeur, Mme Girard. Mes déplacements sont limités, je te rappelle. Pour ce qui est des langues, continue comme ça. Les sciences, aussi. Continue à progresser pour le sport. L'athlétisme, c'est ça ? Fais plus de jogging le soir...Bla. Bla. Bla.

Excusez-moi de vous gâcher la suite mais ce n'est pas intéressant et je vous fais une faveur, croyez-moi. J'arrive à mettre son monologue en sourdine pour me concentrer sur la nouvelle semaine de cours qui arrive.

Je déteste les lundis.

Mais, il faut bien un début à tout.

– Compris ?s'élève la voix de ma mère derrière moi qui me dit que ce n'est pas la première fois qu'elle tente d'avoir une réponse de ma part.

Les lèvres pincées, je la fixe en silence.

Son regard bleu se durcit et elle se redresse sur sa chaise. Oh, elle est le genre de femme très très intimidante. Les pires criminels ont avoué sous ce regard particulier. Mais je suis sa pire cliente et le jour où je ploierais sous ce regard n'arrivera que le jour où je serais coupable.

– Tu es bien la fille à ton père.

– Oh vraiment, je peux avoir les papiers du divorce moi aussi ?

Ça l'a fait sourire, amèrement. Elle m'observe avec un regard calculateur et un soupçon d'inquiétude dans ses pupilles bleues. Dire que je suis une version miniature de cette reine de glace sans cœur. Une chevelure d'une blondeur cuivrée, une peau blanche, des yeux bleus sombres et une minceur athlétique.

Alex, lui, a l'exacte apparence de papa avec vingt ans de moins. Les cheveux bruns coupés court et des yeux marrons qui tournent au vert à la lumière.

Étrange que les personnalités soient inversées en dépit des apparences n'est-ce pas ? Des jumeaux maudits. On s'y habitue, croyez-moi. Mais pas elle, on dirait. Vous savez le regard d'un parent qui regarde son enfant avec les attentes qu'il deviendra comme lui plus tard. Elle le pose sur moi et pas sur Alex.