Agapè (Sweet Lessons)

Idylle

Un fantasme c'est
Une chose défendue
Une chose désirée
Une chose déchue

Notre escapade remonte désormais à trois semaines et aujourd'hui nous sommes le dernier jour du deuxième semestre. Bien que je croise dans les couloirs M. Jenkins et M. Lauren, qui me fait parfois un clin d'œil subtil en guise de salut, je n'ai pas croisé M. Sullivan plus que je ne voulais en-dehors des salles de cours. En même temps, c'était la période des contrôles, des bulletins et des conseils de classe alors je comprends qu'il soit occupé.

Mais il me manque.

– Bonne fin de journée. Bonnes vacances.

La voix de M.Sullivan me tire de ma rêverie. Tout le monde autour de moi se met en mouvement. Tous pressés de rentrer chez eux. Je range nonchalamment mes affaires dans mon sac. Un coup d'œil sur la chaise vide voisine m'indique que Caleb est un adepte des weekends de trois jours. Et en regardant bien, je réalise que Sab est aussi absent. Bizarre. Est-ce une coïncidence ?

– Mademoiselle Cibo, lance M.Sullivan et je lève les yeux vers lui incrédule.

Quelques curieux tournent la tête vers nous.

– J'ai à vous parler. À propos de votre orientation. Ce ne sera pas long.

Je sens une boule d'angoisse grossir dans mon estomac. Mon sac sur l'épaule, je me place devant le bureau et nous attendons que la salle de classe se vide. Je promène mon regard à travers les fenêtres de la classe alors que les couloirs s'emplissent, avant de reporter mon attention sur lui.

Il ressemblait à tout professeur à la fin de la dernière heure d'un vendredi. Échiné et légèrement négligé. Aujourd'hui, il avait opté pour une chemise bleu pâle qui paraissait blanche de loin. Il a déboutonné les manchettes afin de retrousser ses manches au niveau de ses coudes en plis désordonnés. Une habitude machinale qu'il prend après trois heures de cours de suite ou bien quand il fait face à quelque chose de harassant.

Néanmoins il y avait quelque chose de bucolique qui s'entêtait à rester dans sa personne.  Ce truc banalement séduisant que lui seul pouvait émettre sans effort. Avec ses cheveux d'un blond champagne dans lesquels il passait ses doigts dans un geste désinvolte et ses yeux verts de magicien pleins de mystères et d'étincelles. Je les ai vu tourner en un gris acier aussi bien qu'en un vert-jaune champêtre. Après tout, ça n'aurait pas été intéressant qu'il soit juste sympathique.

Je souris mais il reste impassible.

Voyez ? Il est constitué de teintes subtiles. C'est comme un poisson dont toutes les écailles ont chacune une couleur différente. La vision d'ensemble n'en est pas moins magnifique.

Le clic de sa mallette qui se ferme me sort de mes pensées.

– Bon.

M. Sullivan me fait signe de la main de le suivre. Il me tourne le dos sans vérifier que je lui obéisse. Ce que je fais, poussée par une attraction irrésistible et une douleur sourde pareille à une agonie.

J'ignore la nature de cette appréhension qui se visse dans mon cœur...mais j'ai peur.

En sens inverse, les élèves et les professeurs passent en nous évitant. Nous seuls, allons dans une direction opposée. Comme un contre-courant.
Comme si nous prenions un sens interdit.

Puis, il n'y a plus personne. L'établissement se vide et devient silencieux créant une atmosphère intimidante. Nous montons les étages déserts. Le bureau des professeurs, l'endroit où l'on discute généralement des orientations, était deux étages plus bas.