Agapè (Sweet Lessons)

Arcane

Journal de La Balafrée

Ce que tu fais dans cette vie vaut pour l'éternité. Veux-tu être le battement d'ailes d'un papillon ou le déchaînement d'un ouragan ?
L'un ou l'autre, que tu le veuilles ou non, tu laisseras ton empreinte.

Le blanc funèbre dans ma tête est vierge de vie.

Je l'ai vu dans les nouvelles. L'écran s'affichait sur mes rétines et je ne pouvais même pas cligner des yeux. Dès qu'ils ont annoncé l'heure du décès, je me suis mise à calculer.

Hier.

Qu'est-ce que j'ai fait hier ?

Tandis qu'il mourrait, consumé de kérosène et de gazoline.

Lui.

Mon matelot. Celui qui a toujours voulu mourir en mer.

N'est-ce pas ce qu'on appelle cruellement une ironie ?

Hier.

Semble un jour lointain.

La chronologie n'importe plus. Les dates sont fixes mais les moments sont éphémères.

J'ai dû mal à écrire, ma main pèse une tonne et mes doigts sont si proches de la feuille que le stylo pourrait glisser de ma main. Je continuerai à écrire avec mes ongles. Dans un sang d'encre.

Depuis qu'il m'a béni d'un baiser, je n'ai jamais cessé de penser à ce jeune prince de la nuit.

Qui m'a quitté trop tôt.

Mon amour.

Mon espoir.

Je souhaite.

Ne t'avoir jamais rencontré.

Parce que ta mort me tue.

Aujourd'hui est mon dernier jour. Comme chaque jour en fait.

Mais celui-ci je l'ai vécu comme tel.

Je l'ai vécu au centre de ma vie et non sur les côtés comme je l'ai fait tous les jours précédents.

J'ai même croisé mon héroïne.

Celle qui écrit des poèmes pour les jeter dans ma poubelle. Celle qui est physiquement là mais spirituellement absente. La reine des glaces ! Car elle au moins règne dans son royaume solitaire. Contrairement aux rumeurs, elle n'est pas frigide, hautaine et sociopathe mais gentille, seule et triste.

Ils ne savent pas ce qui lui est arrivée. Elle a perdu tout repère. Elle ne lève rarement les yeux du bout de ses chaussures quand elle marche. Peu importe les habits qu'elle porte, elle ressemble à un moineau frêle tombé du nid et son plumage est terne.

Mais je crois qu'elle a trouvé une raison de vivre.

Elle embaumait d'amour quand je l'ai croisé dans le couloir alors que je débarrassais les poubelles pour la dernière fois de ma vie.

Le même parfum que moi lorsque je l'ai rencontré.

Ils se ressemblent tellement ! Je la regarde et je le vois.

Alors j'ai passé mon chemin parce que sa proximité me rappelle combien il est hors de portée. À son passage, j'ai inspiré profondément. Son parfum d'amour.

Et comme si ce n'était pas une coïncidence, j'ai tourné à l'angle et les voilà : mon héros et mon anti-héros. Les cousins qui se parlent dans un langage secret.