L'enfant n'est pas un vase qu'on remplit mais un feu qu'on allume.
~ Michel Eyquem De Montaigne.*
Je ramasse un cahier trempé, agonisant comme une algue sur un rocher. Les pages sont torchées d'eau et volettent sous la brise salée. Mes mots à demi-effacés sont réduites à des larmes qui dégoulinent.
― En une nuit, il est tombé, dit Hanna avec son accent charmant en me rejoignant avec un carton dans les bras.
Redressant son cou gracile, elle lève sa tête vers l'imposante falaise au-dessus de nous et je suis la direction de son regard. Étrange vision de n'y voir qu'un bout de terre qui pointe vers l'horizon de l'océan. Ma tour d'ivoire n'est plus et en se démantelant elle a emporté avec elle tous mes supports d'écrits. Je dépose mon cahier sur la pile des autres. Tous mes poèmes, mes pensées baignent dans une mare d'encre. Et encore ce n'est que le quart qui a été retrouvé.
― Ils sont tous bons à jeter, je soupire maussade.
― Tu ne les as pas sauvegardé sur un ordinateur ? s'inquiète Hanna.
Je soupire fois infini.
― À quoi bon ? De toute façon, tout finit par s'écrouler...
― ...et tout finit par se relever, déclare Très Chère Mère.
Nous tournons la tête vers elle. Sa silhouette de Cate Blanchett avance vers nous pieds nus dans le sable fin d'une démarche flottante. Sa crinière d'un blond platine cendré vole au vent, plus librement.
À y réfléchir, elle a tout l'air d'une Galadriel. Selon moi, c'est un des personnages, genre et race mêlés, les plus forts créés par J.R.R Tolkien. Très Chère Mère possède cette même splendeur qui provoque méfiance et admiration.
Et puis que serait une mère sans sa nature ambivalente ?
― J'ai toujours détesté ce phare, nous confie-t-elle en s'arrêtant à notre niveau. C'était une grande tour qui isolait une petite fille de moi. Utile en cas de tempête et d'égarement certes mais je prends sa destruction comme un signe.
Elle me jette toutefois une œillade désolée et j'aperçois le fantôme d'une lumière remonter à la surface de ses yeux. Ça clignote paisiblement. Une boucle dorée barre son œil bleu clair et se pose sur sa cicatrice rose. Une blessure encore fraîche.
Chaque matin au réveil, je fais en sorte de poser un baume sur la plaie. Chaque soir avant de dormir, je l'embrasse sur cette joue-là. Pour atténuer la douleur.
Chaque nuit elle me prend dans ses bras quand je me réveille en hurlant d'un cauchemar. Toujours le même : je suis nue baignée d'huile et d'essence au fond d'un trou et je vois Hal gratter des allumettes une à une. Je revis la scène dans tous ses détails. Ce n'est qu'en ouvrant les yeux dans ma chambre que je me rappelle qu'on m'a sauvé.
― Une petite fille n'en a plus besoin car elle a une maison maintenant, dit Hanna en me pressant l'épaule et je souris en comprenant le message.
Elles disent vrai. Je préfère vivre dans une maison à partager des murs en sachant que les portes seront toujours ouvertes entre ces personnes et moi plutôt que dans le phare, réceptacle d'un vide en moi qui criait ma solitude grandissante.
Quoi qu'il en soit : on ne peut pas compter que sur soi.
Pour la première fois de ma vie je suis heureuse que Très Chère Mère et Hanna soient là pour m'entourer au quotidien. Il n'y a rien de mieux que ce sentiment d'être de retour parmi les vôtres.
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Agapè (Sweet Lessons)
Teen Fiction«Nous n'avons pas le même âge, mais nous nous trouvons à la même page.» Kylie n'est pas une élève comme les autres. Car elle a un secret et son seul confident est son professeur de littérature, M. Sullivan. Terminée le 01/12/17 Réécriture > Agapè