Mon père s'appelait Léo. Son frère s'appelle Lionel.
On les surnommait les Lions et ils formaient un duo de choc jusqu'à ce que Très Chère Mère et le clan Cibo sépare mon père de sa famille.
Mon oncle et moi sommes pareils. Nous avons perdu notre jumeau. En même temps.
Je lui rends rarement visite. Lorsque je le vois c'est toujours au commissariat. Non parce qu'il est derrière les barreaux mais parce qu'il a été nommé shérif de la ville en prenant la place de mon père à son départ. Donc, il est pas mal occupé et souvent mal entouré.
Il me rend rarement visite car il hait le clan Cibo et Très Chère Mère par-dessus tout. Haine partagée.
En toquant à la porte de son bureau, le sosie de mon père ouvre, et alors que je suis époustouflée par la ressemblance j'abandonne toute raison.
- Kylie ? Qu'est-ce que tu...
Je me jette dans ses bras pour le serrer fort.
- Papa, je gémis dans son torse.
- Euh...shérif Daniels ? Besoin d'aide ?s'enquit l'officier qui m'a accompagné.
Ses bras s'entourent autour de moi, protecteurs. Je pousse un soupir de bien-être en inspirant son odeur si familière et si nostalgique.
- Non, ça va aller. C'est ma nièce.
Ces mots me font revenir brusquement à la réalité et je m'écarte. L'illusion était parfaite pendant un instant. Il me fait entrer à l'intérieur pour plus d'intimité.
- C'est rare que tu viens me voir. Surtout à l'improviste, dit-il en me regardant avec un air inquiet. Est-ce que ça va ?
Je hoche la tête et mon autre moi invisible secoue la tête simultanément. Je m'assois sur la chaise en face de son bureau en bois noir et parcourt la petite pièce d'un regard circulaire. Le décor y est modeste et fait très professionnel. A côté du drapeau national, il y a l'emblème de notre ville et mes yeux tombent sur le cadre de photos accroché sur le mur. J'y vois mon père et mon oncle lorsqu'ils étaient plus jeunes et qu'ils portaient l'uniforme d'officier.
Il se racle la gorge pour avoir mon attention et il semble hésitant.
- Tu...hum...as quelque chose à me demander ?
- Je suis venue prendre de tes nouvelles, je réponds.
Il a un sourire et je détourne vite les yeux avant qu'ils ne s'embuent de larmes par cette vision douloureuse. Je ressens un serrement au cœur à chaque fois que je le regarde.
Le même corps. Le même caractère. Les mêmes mimiques. La même voix. La même tendresse. La même chaleur. Ils sont identiques. Seulement, ils ne sont pas la même personne.
Je me souviens maintenant de la raison pour laquelle je ne viens jamais le voir.
- Comment va ta mère ? J'ai entendu dire qu'elle s'était remariée. Un certain collègue de son cabinet que je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer encore. J'étais occupé avec mon divorce malheureusement.
Je pince les lèvres.
Toutes les familles finissent-elles donc toujours par éclater ?
- Elle va très bien, je réponds néanmoins. Trop bien.
La nuit dernière, j'ai surpris Marc en caleçon remonter les escaliers, deux verres de vin dans chacun de ses mains. Je lui ai rendu son salut gêné par un regard noir. Alors qu'il poursuivait son chemin jusqu'à la chambre à coucher de Très Chère Mère, je n'ai pas pu m'empêcher de m'attarder sur le corps quasiment nu de cet homme tout droit sorti d'une pub Giorgio Armani. Ses omoplates étaient tatouées de deux bois de cerf et en descendant plus bas, un tatouage tribal dont la moitié finissait dans son caleçon.
- Pourquoi les bois du cerf ?je me suis surprise à demander.
Marc s'est figé pour tourner la tête vers moi.
- Tu me vois ?a-t-il demandé comme s'il n'en croyait pas ses yeux.
Un frisson s'est emparé de ma colonne vertébrale. Cette légère plaisanterie a plus d'impact qu'il ne le croit.
- Oui.
- Heureux d'exister enfin à tes yeux, a-t-il soupiré en souriant.
- Pourquoi des bois de cerf ?
Mon attitude bornée l'amuse. Des secondes se sont écoulées avant qu'il ne reprenne la parole, une expression plus grave sur le visage et des yeux plongés dans le lointain.
- Parce que j'aime le cycle de régénération. Un cerf sans ses cornes ne peut être roi de la forêt. Mais même si ses bois tombent chaque année, il finissent toujours par repousser. C'est aussi une sorte de blason qui montre que l'attaque et la défense sont symétriques. En tant qu'avocat, je suis tombé sous le charme de cette idée.
Ce Marc Cobra a plusieurs facettes qui se cachent sous la surface. Il me fait penser à M. Sullivan. A sa manière de basculer entre légèreté et gravité. Un charisme indéniable et agaçant.
- Et pour le tatouage tribal ?
Un sourire énigmatique s'est dessiné sur le bas de son visage.
- Nous ne sommes pas assez intimes pour que je te dévoile son sens.
Inconsciemment et imprudemment, je m'étais rapprochée de lui. Mon corps était comme attiré par le sien et une petite voix dans ma tête me soufflait à la prudence.
- Est-ce que ma mère le sait, elle ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Parce qu'elle ne m'a jamais posé la question.
J'ai remarqué son regard mi-intrigué mi-lubrique sur moi et j'ai eu un mouvement de recul. Mon air méprisant et désapprobateur l'a fait rire.
- C'est donc une compétition mère-fille.
D'un geste furibond, j'ai frappé le verre qui se retrouvait le plus proche de moi. Le vin rouge s'est renversé sur son torse.
- Non, ce n'en est pas une !
Sans m'excuser, j'ai fait volte-face et j'ai descendu les escaliers.
Honteuse de mon propre comportement, je suis sortie de la maison pour ne revenir que plusieurs heures plus tard.
Mon oncle pousse un soupir me faisant revenir au présent.
Son regard pénétrant est désapprobateur et s'assombrit. Il ne tient pas Très Chère Mère en haute estime non plus.
- Je me demande bien ce qui lui passe par la tête.
Moi, je ne m'interroge même pas. Elle ne fonctionne pas comme un être humain.
Je me lève, un peu gênée.
- Ça...ça m'a fait plaisir de te revoir, oncle Lionel.
- Moi aussi, Kylie. Et, hum, reviens quand tu veux, d'accord ?
J'ai du mal à le regarder en face.
Mais il faut bien que je m'y fasse.
Je lève les yeux pour rencontrer les siens.
- D'accord.
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Agapè (Sweet Lessons)
Teen Fiction«Nous n'avons pas le même âge, mais nous nous trouvons à la même page.» Kylie n'est pas une élève comme les autres. Car elle a un secret et son seul confident est son professeur de littérature, M. Sullivan. Terminée le 01/12/17 Réécriture > Agapè