Une visite

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Aujourd'hui est l'anniversaire de mon père.

Nous sommes dimanche. Un jour mort dans la semaine.

La sonnerie d'entrée retentit toute la matinée. Des visiteurs entrent et entrent et ne repartent pas. Le clan Cibo est sûrement en train de se rassembler. Je n'ose pas descendre. Je ne veux pas leur montrer mon visage. Je préfère qu'ils m'oublient.En bas, il y a un brouhaha de voix que je maudis et qui me crispe.

Partez...

Le cadre photo sur mes chevilles croisées, je fixe le portrait souriant de mon père. Léo Daniels. Pourquoi ne vient-il pas me hanter ? Pourquoi ne vient-il pas me remonter les bretelles comme tout père concerné ? Ses pichenettes sur le front me manquent. Ses chemises à carreaux de bûcherons et ses blagues à deux balles aussi. Il n'a jamais su que c'était son rire qui faisait rire encore plus que l'histoire drôle qu'il venait de raconter.

Quand j'étais petite, je me souviens qu'il me mettait sur ses genoux alors qu'il parlait avec des invités. Je m'amusais à faire tourner la grosse bague sur son annuaire et arrachais les morceaux de pistache des doigts de mon père juste avant qu'il ne les mette dans sa bouche. J'écoutais attentivement leurs conversations adultes, leurs rires et leurs disputes et j'étais attirée par ce monde d'hommes. Alors que ça continuait toute la soirée et que la discussion dérivait sur des sujets qu'un enfant n'est pas censé écouter, je faisais sembler de dormir contre son épaule. Je crois qu'il savait que j'étais réveillée mais ne me renvoyait jamais dans ma chambre.

- Kylie la chipie, avait-il l'habitude de me surnommer avant de m'asséner une pichenette sur le front puis de remplacer la douleur par un bisou magique et me border.

Depuis que je suis née, mon père et moi partagions un lien plus fort que ce que j'ai avec ma mère si jamais il y a eu un lien entre elle et moi. Je savais aussi qu'il me préférait à Alex mais il ne l'en aimait pas moins. Je hais Très Chère Mère de nous avoir séparés. Cette femme frigide, égoïste et carriériste avec son cœur rempli de piquants.

En priant pour que personne n'ouvre la porte de ma chambre, je tourne dans ma chaise suspendue en forme d'œuf depuis quelques minutes. Mon papier peint couleur taupe se confond au blanc puis à mes meubles verts et mon tapis forme un arc-en-ciel hypnotique sous mes pieds. Puis il y a du noir et j'arrête d'un coup de tourner.

Je lève les yeux sur Caleb qui me considère avec amusement.

- Alors princesse, on s'ennuie dans sa forteresse ?

Une météorite aurait atterri dans ma chambre, j'aurais eu la même réaction. J'ai crié en bondissant et mon cocon s'est mis à tanguer dangereusement. Il a posé ses mains dessus pour le maintenir.

Il porte un t-shirt rouge foncé qui dévoile les tatouages sur ses bras et je les contemple malgré moi tellement ils sont nombreux et détaillés. Je peux voir la queue de scorpion qui dépasse de l'ourlet de sa manche sur son biceps. Lorsqu'il se penche en avant, sa croix argentée tinte contre son plexus. Chrétien ? Son pantalon noir tombe sur ses hanches et je peux voir un bout de peau mate. Puis je réalise qu'il me dévisage avec un sourire en coin. Je recule jusqu'au fond et profère des balbutiements dans la confusion et le choc. Son corps bouche la seule issue. Je reconnecte enfin les parties du langage et des mots dans mon cerveau.

- Comment es-tu entré ici ?!je m'écrie en luttant contre la crise de panique montante.

- Par la cheminée.

- On n'en a pas !

- Par le garage.

- Non plus !

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant