Absence

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Alex a le nez rougi par le froid et il est assis à ma gauche. Mes pieds nus à côté de ses baskets. Il ne dit rien et je me contente de sa présence. 

Si je tombe. Tombera-t-il avec moi ?

– Qu'est-ce que tu fais ?me demande une voix et sans même tourner la tête je reconnais son propriétaire.

Je cligne des paupières sur une rue enneigée d'au moins 20 mètres sous mes pieds nus qui se balancent dans le vide. Je suis assise sur la rambarde du pont avec M.Sullivan qui vient de se téléporter à ma droite. Il se penche pour avoir la même vue que moi, sa cigarette fumante entre les lèvres.

Quelle étrange apparition en plein centre-ville.

Comme un fantôme.

Alex devine où vont mes pensées et roule des yeux dans son coin.

Puis je réalise que j'ignore comment j'ai atterri ici. Après les cours, je suis rentrée à la maison et je suis tombée sur Marc dans le hall d'entrée. En me souvenant de l'altercation que nous avions eu l'autre nuit, j'ai ouvert la bouche pour m'excuser mais mes tympans ont entendu le timbre lointain de Très Chère Mère. Ses talons sur le sol s'approchaient dans notre direction et il ne m'en a pas fallu plus pour que je sorte à reculons.

La dernière chose que je me souvienne c'est Marc qui lève les mains d'exaspération, un air quasi-résigné sur le visage. Puis plus rien.

– Merde. J'ai eu encore un de ces moments..., je soupire en me lissant les cheveux en arrière.

Se faisant, mes doigts accrochent des nœuds. Re-merde.

Le ciel étoilé se déploie au-dessus de nos têtes et le vent frais soulève légèrement mes cheveux vers la lune blanche.

– Quels genres de moments ?me demande M. Sullivan.

Je tourne la tête vers lui pour surprendre son regard...si...humain. Seigneur, j'ai prié pour qu'on me regarde de cette façon à nouveau depuis qu'il m'a abandonné.

– Des moments où je m'absente de ma propre vie, je réponds avant de faire une pause perplexe. Et c'est la première fois que je le confesse à voix haute.

– Donc, tu viens ici pour quoi ? L'adrénaline ?

– Je crois que mon inconscient essaye de me faire passer un message, je dis en regardant en bas.

– Inconscience, rectifie-t-il en haussant les sourcils.

Je risque un nouveau regard. Ses yeux sont émeraudes, peut-être argentés sous la neige.

– Descends maintenant.

Comme je n'obéis pas, il se contente de me fixer sans ciller. C'en est presque intense et illégal, ce genre de regard.

Cette sérénité qui nimbe son corps est troublante et rassurante.

Il finit sa cigarette avant de la jeter à ses pieds pour l'éteindre du talon. En suivant le mouvement du regard je remarque mes chaussures. Soulagée de ne pas les avoir balancé et de ne pas faire le retour pieds nus, je me détourne du vide pour les saisir et les remettre.

– Vous m'êtes étrangement familier, je lui avoue les sourcils froncés. Comme si je vous avais déjà rencontré il y a des années.

Comme une réincarnation. Excepté l'âge différent.

Il glisse son regard vers la droite avec un plissement amusé.

– Je viens de débarquer dans cette ville. Je suis quasiment sûr que c'est notre première fois.

Notre première fois résonne dans ma tête. Il veut sûrement dire première année.

– Je te raccompagne ? propose-t-il.

– Hmm, chez moi est le dernier endroit sur terre où je veux retourner.

– C'est triste d'être sans adresse fixe, fait-il remarquer sur un ton léger. Si tu veux m'accompagner, je vais me rendre à la librairie. Celle qui se trouve dans le centre-ville.

Ai-je bien entendu ?

– Pourquoi cet air perplexe ?demande-t-il comme s'il n'en avait vraiment aucune idée.

L'innocence à l'état pure.

J'ouvre ma bouche pour répliquer mais aussi surprenant soit-il, je ne suis pas du tout d'humeur à être sarcastique avec cet homme.

– Eh bien, ce n'est pas une invitation très romantique. D'aller lire des bouquins...Non que je ne déteste pas lire !

Il me dévisage avec un air proche de la réflexion.

– Pourtant le romantisme prend son origine des livres mêmes...Ou bien la notion de romance à changé de nos jours...(il fronce les sourcils) Oui, prendre un verre ou deux dans un bar, aller danser dans une boîte bondée, ni l'un ni l'autre n'est vraiment mon truc.

Il hausse les épaules avec un air navré sans être sincère d'être désolé pour ce fait.

Pourtant,  je suis satisfaite de sa réponse. Il remonte même dans mon estime.

– Alors c'est un rendez-vous ?

– Tss, fait-il. Ne te méprends pas. Je suis ton professeur. Je ne suis pas intéressé par les enfants.

Le mot enfants résonne en écho dans ma tête.

Je redescends sur la terre ferme et semble m'y enfoncer même.

Du coin de l'œil, je vois Alex soupirer de soulagement, les paupières fermées.

Pour ce soir, je suis sauvée semble-t-il.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant