Notre soirée ne s'est pas bien terminée comme je l'espérais.Ça s'est passé dans un silence macabre.
La neige.
Le pont.
La chute.
Nous étions sur le chemin du retour. Nous allions traverser à nouveau le pont sur lequel il m'avait trouvé tout à l'heure.
Soudain, j'ai cru halluciné.
Parce que j'ai vu une fille à la même place que moi.
Sauf qu'elle n'était pas assise sur la rambarde. Elle s'y trouvait debout. Le visage baissé. Le regard éteint.
Combien de temps se tenait-elle là, à laisser ses frêles épaules se faire saupoudrer d'une couche de neige ?
En la reconnaissant, j'ai ouvert la bouche, gonflé mes poumons pour l'appeler. Mes jambes se sont élancées vers elle comme si elles avaient compris bien avant mon esprit.
En sens inverse, j'ai croisé Alex qui a fait volte-face, une expression douloureuse sur le visage. Je l'ai entendu me murmurer le mot "pardon" ou était-ce le murmure du vent.
Puis il s'est volatilisé en flocons sous la pluie de neige, me coupant le souffle et j'ai senti une déchirure familière dans le cœur.
Elle s'est penchée vers le bas. J'ai vu son corps dégringoler en avant. J'ai vu ses boucles noires par contraste aux gros flocons blancs. Sans réfléchir, j'ai tendu une main, étirer mes cinq doigts au maximum pour la rattraper, une mèche de cheveux aurait suffit.
Ma main a attrapé un flocon de neige.
Un frisson glacé m'a étreinte toute entière.
Comme une poupée de chiffon, son corps est tombé, désarticulé et s'est retourné sur le dos. J'ai cru voir ses yeux se fermer, une expression endormie sur son visage couvert de cicatrices.
Puis elle a percuté le sol.
Comme un flocon sur la neige.
Sans aucun son.Elle s'est mise à fondre.
En une flaque écarlate.
J'avais un genou sur la rambarde du pont, penchée dangereusement vers le vide. Le cœur prêt à s'éjecter hors de ma cage thoracique. Mes doigts tendus vers elle. Mes rétines aspirant l'essence de toute la scène. La bouche grande ouverte sur un cri qui refusait de sortir.
Je serais tombée aussi si M. Sullivan n'avait pas enroulé ses bras autour de ma taille. Il m'a violemment soulevé en arrière avant de tomber à genoux tout en me plaquant contre son torse, le souffle court dans mes cheveux.
Que j'ouvre les yeux.
Que je ferme les yeux.
Mes rétines me font mal.
Le temps se fragmente et se télescope à un autre temps.
Je me revois remonter l'escalier de la maison d'un pas guilleret. Les rayons du soleil couchant doraient le long tapis du couloir. Mes pieds de danseuse se dirigent vers la chambre de Très Chère Mère. Mes doigts d'espions se tendent vers la poignée en forme de diamant. Ma main se referme sur la neige cristalline. La porte s'ouvre et mes paupières intriguées se soulèvent. Pour rencontrer les yeux couleur bronze d'Alex.
J'ai été alors foudroyée par la mort. Sciée en deux pour ne faire plus qu'une.
Je revois les yeux rougis de mon père. Ils semblent me transpercer avant que les larmes amères de dégoût les font détourner de mon âme, ses lèvres retroussées sur ses dents serrées par les sanglots. Il tourne le dos à mes supplications.
Mes rétines me brûlent.
C'est un cauchemar qui se répète.
Papa.
Alex.
Du sang.
De la neige.
Du feu.
Du bois.
Du métal.
Je manque d'air.
Ma bouche a émis un lent gémissement brisé.
Pourquoi est-ce que j'ai regardé ?
Pourquoi Marnie ? Pourquoi as-tu fais ça ?
D'autres passants, témoins de la scène, ont accouru. Leurs voix n'étaient que murmures inintelligibles dans le vent qui soufflait fort dans mon crâne gelé. L'horreur dans leur visage était le reflet du mien. M. Sullivan ne me lâchait pas et faisait de son mieux pour leur répondre. Le timbre de sa voix vibrait jusque dans mes côtes.
Il tremblait. Je tremblais.
Les haut-parleurs de la rue ont grésillé pour diffuser une chanson correspondant au registre de Noël. Les premières notes m'ont serré la poitrine et j'ai cru étouffé pour de bon.
Dans le giron de mon sauveur, j'ai levé des yeux emplis de larmes de désespoir vers le ciel noir alors que les vers de la chanson de Leonard Cohen chanté par Jeff Buckley, résonnent partout autour de nous.
"Your faith was strong but you needed proof
You saw her bathing on the roof
Her beauty and the moonlight overthrew you
She tied you to a kitchen chair
She broke your throne, and she cut your hair
And from your lips she drew the Hallelujah"Le ciel a basculé pour renversé une corbeille de boules de papiers sur nos têtes.
Les flocons ont continué à chuter un par un devant mes yeux impuissants. J'en attrape un dans la paume de ma main et avant même de pouvoir déceler sa beauté, il fond et meurt. La main d'Ash la ferme en un poing et sa chaleur m'a instantanément enveloppé.
Mon cœur, lui, n'est plus qu'un organe de stalactites qui coule goutte à goutte.
Des gouttes de sang.
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Agapè (Sweet Lessons)
Novela Juvenil«Nous n'avons pas le même âge, mais nous nous trouvons à la même page.» Kylie n'est pas une élève comme les autres. Car elle a un secret et son seul confident est son professeur de littérature, M. Sullivan. Terminée le 01/12/17 Réécriture > Agapè