Une ancre

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{Jamais mon rideau de cheveux m'a été aussi utile. Pétrifiée et crispée par les sons, la musique et le jeu des acteurs face au mystère et à l'horreur, j'ai couiné, sursauté, crié et me suis cachée.

Lorsque nous sommes sortis, j'étais vidée et heureuse que ce soit terminé.

Tu as détesté.

Ma bouche s'est ouverte pour lui répondre que non mais il m'a devancé sur un ton gentil : 

Ce n'était pas une question.

Tu as aimé ?

Il a eu un haussement d'épaules.

Pas particulièrement mais j'en ai besoin.

Sous ma frange longue, j'ai les yeux ronds. Et il a souri comme s'il avait senti ma perplexité.

Je ne dis pas que regarder le malheur d'autrui fait mon bonheur c'est juste que j'ai besoin de me confronter à des situations horribles pour les comparer à la mienne et alors j'angoisse moins.

Nous étions toujours sur le trottoir devant le cinéma et les néons oranges et bleus traçaient les contours de son profil.

Il était vraiment beau comme garçon. Je ne m'attardais pas sur son t-shirt blanc à rayures bleues ni à son jean délavé. C'était dans sa posture et les traits de son visage fin et harmonieux. Sa peau semblait lisse au toucher, sans imperfection. Ses yeux d'un marron sombre regardaient la route devant lui et cillaient légèrement comme un battement d'ailes de papillons.

Il avait cette aura de légèreté et de fraîcheur qui l'entourait. Il était comme une brise printanière.

Avant même que je ne comprenne ce qui m'a pris, j'avais posé ma main sur son bras. Je crois que j'ai eu peur qu'il ne s'envole, je ne sais pas. Ou bien j'ai peut-être voulu vérifié qu'il était réel et non un produit de mon imagination.

Au moment où j'ai voulu la retirer, il a posé ma main sur la sienne pour la garder prisonnière. Sa tête était baissée et il a murmuré :

Tu dois te demander pourquoi je pleurais ce jour-là...

Chaque fois que je l'ai revu, oui.

Je...je..., ai-je balbutié.

Ce n'était pas une question, Sia.

Sa main toujours sur la mienne, il l'a soulevée au niveau de son visage et a regardé longuement ma paume. J'étais obnubilée par son expression de souffrance. Quelque chose semblait le ronger de l'intérieur.

J'ai brisé ma famille, a-t-il déclaré en baissant ma main. Et la mer de l'autre côté de ma maison ne cesse de m'appeler. J'ai toujours rêvé d'être un marin sur son bateau à la recherche d'une ancre qui le reliera à la terre.

Je la cherche éperdument, a-t-il ajouté à voix basse comme pour lui-même.

Il a soupiré et quelque chose a semblé mourir en lui car ses épaules se sont affaissées sous un énorme poids invisible à mes yeux. Tout ce que j'ai vu était un papillon enchaîné aux ailes trouées et ça m'a fait de la peine de le voir dans cet état. Son aura de légèreté a été remplacée par une aura sombre.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant