Agapè (Sweet Lessons)

Miroir

Il est revenu.

Il est revenu dans notre jardin secret.

À sa vue, je me suis arrêtée à un mètre sous l'émotion qui fleurit en moi. Le dos tourné, M. Sullivan fume des ronds de fumée. Je suis à la fois impressionnée et amusée. Les cercles blancs flottent et s'élèvent en s'élargissant dans l'air avant de disparaître.

– Comment vous faites ça ?

Ma voix lui fait pivoter une épaule en arrière et il tourne son profil vers moi avec un sourire sympathique.

– Tu as des coussinets à la place des pieds ? Je ne t'ai pas attendu approcher.

Timidement et sagement, je le rejoins et nous nous retrouvons debout face à face. Nous avons le chic de poser des questions dont les réponses finissent dans le vent.

Le vert de ses yeux est la couleur qui manquait pour raviver le printemps. Sans lui, j'étais coincée dans un perpétuel hiver.

Le soleil lui fait cligner des yeux. Puis je fronce brusquement les sourcils face au détail que je viens de remarquer.

– Vous portez des lentilles ?!

Il hoche la tête.

– Le temps d'avoir mes nouveaux verres. C'est temporaire.

Sans sa monture fine et dorée, je suis déconcertée. Son visage est plus nu et jeune. Je ne me lasse pas de contempler les traits de cet homme...Je parie que sa peau est du satin. Si seulement je pouvais vérifier en caressant ne serait-ce que sa mâchoire du bout de l'index.

– Moi, j'aime bien ce vert-là, je déclare en me perdant dans ses yeux.

Il s'écarte de moi et j'ai peur d'avoir dit des mots inappropriés capables de provoquer sa fuite mais il s'assoit tranquillement sur sa marche. En remarquant mon expression, il esquisse un geste apaisant de la main.

– Tant que tu ne te jette pas sur moi, je resterais. Je te fais confiance, d'accord?

Malgré son ton léger, je vois l'avertissement sérieux dans son regard. Je m'assois en tailleur sur le sol devant lui à une distance convenable.

– D'accord.

Le silence s'éternise jusqu'à sa dernière bouffée de tabac qu'il finit en rond de fumée. Il sourit tout seul en le regardant disparaître devant son visage.

– Pourquoi Ash ?je demande.

À son prénom, il a un sursaut et baisse les yeux sur les miens avec un début de désapprobation ponctué par un froncement de sourcils. Il n'a pas aimé cette soudaine familiarité et je reformule :

– Pourquoi vos parents ont choisi ce prénom ?

Son air est équivalent à un "oh" auto-dérisoire. Son index tamponne sa pommette tandis qu'il tente de se rappeler. Pour reconnaître cet air là, il faut l'avoir fréquenter longtemps. À force de retenir les détails faciès que son visage est capable de faire depuis notre première rencontre, je sais de quoi je parle.

– D'ailleurs c'est le diminutif pour Ashton ? Asher ? Ashley ?

Au dernier prénom, il plisse les yeux.

– Ashby, corrige-t-il. Car je suis né sous un frêne.

Interpellée, je hausse les sourcils.