Agapè (Sweet Lessons)

Mon secret

Je suis la seule à être venue en retenue. Ce n'est pas étonnant.

Ce qui me pousse à demander sur le pas de la porte d'entrée de la classe :

- Pourquoi vous m'évitez ?

Mon professeur de littérature referme la porte derrière moi et me désigne la chaise devant son bureau.

- Caleb ne viendra probablement pas, dit-il pour lui-même.

- Monsieur...

- Oui ?

- Est-ce que j'existe ?

Les sourcils haussés, il s'assoit en même temps que moi.

- Oui, répond-il tout simplement.

- Est-ce que j'existe pour vous ?

Il pose ses coudes sur le bureau et évite mon regard. J'observe ses mains se rejoindre devant sa bouche et essaye de déceler un défaut dans les traits de son visage.

En vain.

J'aurais préféré qu'il soit laid. Ça m'aurait évité tout ce tourment et cette fascination.

- Je ne sais pas quelle réponse philosophique satisfaisante tu cherches mais tu existes, répond-il en me décevant grandement par son ton indifférent.

La moutarde me monte au nez et je lâche un puéril :

- Si seulement vous n'existiez pas.

Sa respiration se coupe et il a un début de froncement de sourcils. C'est rare chez lui de froncer les sourcils.

- Ce n'est pas très gentil, me réprimande-t-il.

Mon regard est aussi glacé que le sien et pourtant il arrive encore à le réchauffer par son petit sourire en coin. Qui s'efface aussi vite qu'il est apparu.

- Deux essais. Tu as toute l'heure devant toi, m'indique-t-il avant de reprendre ses occupations.

Je lis la consigne. Un essai sur le temps. Un essai sur l'enfance. Trois pages chacune. Intéressant.

Prenant un stylo, j'écris déjà mon prénom et mon nom ainsi que la date.

Le temps c'est comme le vent. Pour certains c'est une brise pour d'autres un ouragan. Invisible, le temps souffle quand, comment et où il le souhaite. Le temps choisit d'être doux ou dur, froid ou chaud. On pourrait croire que le temps est dominant or c'est nous, êtres humains, qui le dominons par notre perception. Sans nous, le temps n'existe pas.

J'alterne les deux sujets en me sentant plus d'inspiration pour le second tout à coup. Je finirais l'autre après.

L'enfance est un morceau du passé qui régit notre futur. Ce que nous avons fait et dit en tant qu'enfant subsiste en nous aujourd'hui. Notre enfance est un morceau intime d'une innocence chaotique dont nous avons été témoins, sommes témoins et serons témoins jusqu'à la fin de nos jours. Impossible d'oublier et impossible de se souvenir. L'enfance est le squelette à l'adolescence qui est la chaire à l'adulte, j'écris jusqu'en bas de ma troisième page.