Agapè (Sweet Lessons)

Havre

Par la porte entrouverte, j'aperçois la pièce qui lui sert de chambre, de salon et de bibliothèque. Les livres qui s'empilent. Les pages dépareillées. Les mugs de café qui traînent sur le sol. Une odeur de cigarette qui plane dans l'air.

Voilà donc son habitat.

Son appartement est charmant malgré le bazar qui y règne.

– Entre, je t'en prie, me dit-il déjà parti au fond de sa maison. Tu m'excuseras pour la pauvreté luxueuse et le désordre intentionnel, je ne suis pas parfait.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'invite aussi facilement. Ma foi, cela balaie une de mes peurs : celle d'une épouse cachée. Comme j'hésite toujours, coincée sur le tapis d'entrée qui dit "Bonne Journée", Ash réapparaît en chaussettes, pantalon gris flanelle et t-shirt blanc. Une tenue de mi-saison. Une tenue décontractée. Une vision qui me fait secrètement plaisir. Il me regarde tout en ôtant sa montre.

– Je dois corriger des copies par contre, donc je ne vais pas être d'une très bonne compagnie.

J'aime le fait qu'il continue sa routine comme si tout était normal. Parce que je suis hyper-consciente d'être l'élément anormal.

– Je peux vraiment ?je lui demande.

– Pas vraiment, répond-il d'un ton honnête et il me sourit. Mais j'aime que tu sois enfin là.

Enfin là.

Alors je fais un pas et referme la porte derrière moi.

Je crois avoir trouvé un second havre de paix : Ashland.

Ash corrige les examens tandis que je lis des livres que j'ai pioché dans sa bibliothèque sur le canapé. Je ne lis que ses annotations dans les coins et ne relis que les passages qu'il a soulignés au crayon à papier qu'il n'a jamais l'intention de gommer.

"Les meilleurs livres sont ceux qui racontent ce qu'on sait déjà." 1984 - Georges Orwell.

Je médite un moment sur cette phrase.

Du coin de l'œil, je peux voir combien il semble concentré, ses yeux verts absorbés par les copies d'étudiants.

Je l'admire en silence. J'aime son intelligence.

Il est si investi dans son rôle de professeur, qu'il ne me remarque pas approcher. Jusqu'à ce que ma hanche touche son coude. Il lève les yeux vers moi tout en remontant ses lunettes sur le nez avec son stylo rouge correcteur.

– Tu as corrigé ma copie ?je demande sans pouvoir dissimuler ma curiosité.

Il écarte le bras pour m'inviter sur ses genoux. Pour garder l'équilibre, j'enroule mon avant-bras autour de son cou.

– Oui elle était parmi les premières, répond-il en souriant. Tu t'en sors bien.

– Mais, serait-ce du favoritisme ?je demande en faisant mine d'être suspicieuse.

– Jamais.

Ash a été clair. Sa vie privée et sa vie professionnelle sont strictement indépendantes de l'autre. Ash et M.Sullivan sont comme les deux poignées d'une même porte à laquelle je ne peux qu'entrer ou sortir. Entre vous et moi, je préfère entrer.

Dès le début, il m'avait prévenu. Qu'il me traiterait comme les autres. À égalité, sans aucun traitement de faveur car c'est le rôle d'un bon professeur.

Et je respecte sa vision des choses.

– Avoue que je suis quand même ton élève préférée.