Détachement

3.2K 280 111
                                    

Ashby T. Sullivan

Vous me connaissez mais vous et moi nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Je suis jeune et vieux à la fois.
Je suis elle et elle est moi.

Lorsque vous vous faites engagez en tant que professeur, vous êtes supposés connaître les règles de l'école plus que n'importe qui. Et bien évidemment, ne pas les transgresser plus que n'importe qui.

Dès la rentrée, les préceptes scolaires veulent, mauvais mot...exigent l'ordre absolu. Or si vous cherchez le mot "ordre" dans le dictionnaire...vous n'allez pas pouvoir appliquer la définition sur l'école. C'est tout bonnement impossible.

Pourquoi ?

La réponse est dans l'équivalence suivante : école = chaos.

Alors, la définition du "chaos". Tournons les pages...ah le voilà donc ce fameux mot :
[Chaos] Amas d'objets confus, incohérents, inorganisés donnant l'image de l'effondrement et d'un état du désordre total.

Oui. Hochement de tête affirmatif qui approuve. Cela correspond bien à l'école et ses élèves.

Je me suis enrôlé dans cette caste de professorat non parce que je voulais mettre de l'ordre dans ce chaos mais pour en sortir du bon tout simplement.

Bien sûr j'étais aussi curieux de connaître mes élèves, de saisir leurs facilités et leurs difficultés. En charge de leur orientation, il fallait les guider doucement ces gamins. La pression des parents, la pression des amis et l'inexpérience dans le monde du travail les faisaient souvent choisir à la va-vite. J'en ai vu passé qui ont déclaré arrêter les études après le diplôme. Ou bien ceux qui comptaient trop sur leurs parents et leur fortune. Surtout ceux qui suivaient les autres par souci d'être laissé seul, à la ramasse de la majorité.

Le premier jour de la rentrée, chaque professeur sait qu'il va se retrouver face à une nouvelle meute de loups qu'il va devoir dompter pour survivre l'année. Je ne cherche pas à me faire aimer des élèves et à être dans leurs petits papiers parce qu'alors ce serait me réduire et faire d'eux des petits adultes gâtés. Ça peut marcher pour certains professeurs. Mais ce n'est pas ma manière d'enseigner. Je ne suis pas ce qu'on appelle un professeur révolutionnaire et ne comptez pas sur moi pour arracher les pages des manuels et attendre de mes élèves qui scandent la tête haute : "Ô Capitaine ! Mon Capitaine !" en se mettant debout sur leurs bureaux.

Parce que vous allez être déçus.

J'enseigne la littérature mais j'encourage plus la pratique d'écriture que la pratique de lire. Je préfère la création à la réflexion car la création vous appartient pleinement tandis que la réflexion est tirée d'autrui. Les enfants n'arrivent plus à réfléchir par eux-mêmes. Il leur faut un guide.

Maintenant, je vais vous parlez d'un sujet fâcheux. Non un sujet, pardonnez-moi, mais d'un cas. Une élève.

Une jeune fille chaotique.

Si vous avez suivi depuis le début, vous connaissez son nom.
Sinon dégagez d'ici et vite.

Dès mon arrivée à l'école Mercury, lors des distributions des classes, on m'a immédiatement informé de sa situation qui semblait à prendre avec des pincettes. Pour vous dire la vérité, je n'ai même pas voulu en entendre parler car je craignais que ça n'influence mon enseignement et donc mon année. Je préfère découvrir mes élèves moi-même que par la bouche d'autrui.

La première fois que je l'ai rencontrée, sa présence s'est comme imposée à moi. Je la revois dressée au-dessus de moi, tremblante de colère et d'indignation, son poème que j'ai déterré en boule dans son poing hermétiquement fermé.

Agapè (Sweet Lessons)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant