– «Mignonne, allons voir si la rose...»Je fais tourner mon stylo plume dans ma main tout en sachant parfaitement que c'est un toc. Les oreilles bercées par le timbre du professeur, mes iris se focalisent sur le moindre détail qui habille sa personne. Un battement de cils dorés. Un regard vert éducateur. Une bouche sensuelle. Une parole charismatique. Une prose cachée. Une humanité fragile. Un secret en sûreté.
– La fin de l'année approche. Ce qui veut dire que vos poèmes doivent déjà être terminés, non ? Ah, vous avez oublié...Vous avez encore trois semaines pour le faire. Le sujet, je le rappelle, est sur vous. Je choisirai les meilleurs pour le concours inter-lycée, ajoute-t-il.
– Il sait vraiment plomber l'ambiance, ronchonne une fille à deux sièges de là.
Sa voix fut assez forte pour être entendue de tous mais le ton était discret et fait sourire Ash au lieu de l'offenser.
– Je me demande comment il est en-dehors des cours, murmure sa voisine d'un air rêveur.
Si elles veulent savoir, il est du genre à avoir du mal à se lever et à avoir des épis dans les cheveux. L'image d'un Ash ensommeillé en train de se brosser les dents ce matin jaillit devant mes yeux.
Si M. Sullivan était Superman, je préfèrerai de loin Clark Kent car j'ai toujours préféré l'ordinaire discrétion à l'extraordinaire exposition. La vraie identité d'un héros est celle qui se trouve en-dessous du costume. En surface, ce n'est qu'un professeur de littérature, en profondeur c'est un homme de cœur.
– Tu crois qu'il a une fiancée ?
– Oh non, je la tuerais !
Mes yeux bleus sérieux cillent. Je ne le prends pas personnellement. Ce n'est pas comme si j'étais la fiancée d'Ash. Je ne sais même pas si on peut dire «petite amie» dans mon cas.
D'une poussée du majeur, mon stylo plume fait un cercle dans l'air au-dessus de mon pouce et de mon index avant de revenir à sa position initiale. Je descends la pointe vers le bas, vers la feuille blanche et je m'essaye à plusieurs écritures manuscrites sans but que d'embellir ce tracé qui est le mien.
La lettre A est suivie du S et enfin du H.
Une main sur mon poignet, j'écris un petit poème qui tient dans la marge de ma feuille.
• Le Tabou •
C'est nous.
Comme le bijou
Au cou d'un garçon
Comme le hibou
Volant en plein jour
C'est fou
Tel une belle passion
C'est surtout
Un fol amour
le tabou.Le menton dans ma paume, mon sourire n'en est plus que niais et je laisse échapper le rire silencieux d'une petite fille amoureuse.
Peu importe les étiquettes.
Puis je jette un coup d'œil en direction de la chaise vide à côté de moi et une image de Caleb assis à cette place me revient avec une netteté précise avant qu'il ne disparaisse tel un enchantement éphémère avec ses yeux noirs lancinants.
Il me hante même s'il est vivant.
Cela va faire bientôt deux semaines qu'il est enfermé dans ce centre pour juvéniles en attente d'un procès. La mission de le libérer semble si lointaine et superflue maintenant que j'y repense. Je croyais dure comme fer que ça allait être comme dans les films où les indices venaient à moi par milliers et comme une surdouée, j'allais me mettre à résoudre un par un les mystères qui m'avaient été confiés par tant de fantômes.
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Agapè (Sweet Lessons)
Genç Kurgu«Nous n'avons pas le même âge, mais nous nous trouvons à la même page.» Kylie n'est pas une élève comme les autres. Car elle a un secret et son seul confident est son professeur de littérature, M. Sullivan. Terminée le 01/12/17 Réécriture > Agapè