III.

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      Point de vue Amir .

    Le trafic à New-York est une plaie, même tardivement. Déjà nous avons pris une heure de retard par la faute d'Emily qui n'avait pas terminé de se maquiller. Le résultat était impeccable certes, mais ne nécessitait pas autant de temps. Alors que notre voiture s'immobilisait déjà devant l'immeuble qui accueillait cette soirée, Emily me prit la main.

- J'ai toujours autant le tract chaque fois que je dois faire une apparition en public ; me confia-t-elle.

- Tu devrais être habituée maintenant Emy; répondis je.

- Oui mais quand même, c'est une tâche assez lourde d'être ta compagne Amir.

     En effet depuis que j'avais signé avec Gérard Parker, j'étais très souvent convié à ce genre d'événements et je m'y rendais avec elle quand elle n'était pas en voyage pour ses défilés. Voilà cinq ans que nous nous étions remis ensemble, cinq années où nous vivions ensemble, et cinq ans qu'elle me parle de mariage. Emily et moi ne sommes pas faits pour se marier et elle le sait, mais depuis qu'elle est revenue dans ma vie, il est difficile qu'une journée passe sans qu'elle fasse allusion au mariage. Je la regarde et lui souris, et je lui répète la même chose.

- Tu es la plus belle Emy, ne faisons pas attendre tous ces photographes qui ne sont là que pour toi.

    Elle me sourit également avant de m'embrasser. Ça fait bien longtemps que je ne mets plus du mien lors de nos échanges buccaux, allez savoir pourquoi. Je sors le premier du véhicule, et fait le tour de la voiture pour l'aider à faire de même. J'ai une impression de déjà vu. Elle prend appuie sur ma main pour sortir de la voiture et nous sommes de suite mitraillés de flashes. Chacun d'eux nous demande de regarder vers eux, Emily s'est déjà adossée sur mon torse, sa robe en velours lui va très bien, mais à chaque fois que je passe mon bras autour de sa taille, j'ai un sentiment de vide. Au bout d'un moment, je m'écarte pour la laisser profiter de ce moment qu'elle aime tant. Après plusieurs clichés, elle me rejoint et nous entrons dans la salle de réception. Il ne reste que quelques minutes avant que je ne monte sur scène pour mon discours, je salue quelques uns des invités, j'accompagne Emily à la place qui lui est réservée, avant de rejoindre Gérard au pied de la scène.

- Bonsoir Gérard; dis je en lui serrant la main.

- Toujours en retard Santiago, quelques minutes de plus et vous auriez foutu la soirée en l'air. Allez y.

     Après la brève introduction du maître de cérémonie, je monte sur scène et je suis ravi que mon iPad est sur le pupitre. Après avoir salué l'assemblée, je passe à l'essentiel. Je leur parle de la société, j'insiste sur l'importance d'apporter des dons à des associations. Sans tirer de long en large, j'introduis mon collaborateur.
  Gérard prend ma place derrière le micro, il a l'air plus à l'aise à leur parler. Le public rit à ses interludes drôles, puis il revient à l'essentiel. J'ai toujours admiré cet homme et aujourd'hui, je suis son associé. Bien que la relation entre nous soit toujours aussi glaciale depuis cinq ans de collaboration, j'apprends beaucoup de lui chaque jour. Dans son discours, il souligne le fait que signer avec moi a été la meilleure de ses décisions et il espère que les 20% de revenus que l'entreprise destine à quelques associations caritatives, vont aider des personnes en difficultés. Il continue à parler, mais des chuchotements dans le public se soulèvent peu à peu. Son discours est pourtant impeccable. Que peut bien susciter cette agitation? Gérard a lui aussi l'air perturbé, puisque qu'il marque un temps d'arrêt inopiné. Je le regarde depuis ma place, debout derrière lui, ensuite je suis la direction de son regard... Le mien se fige littéralement. Je dois certainement être en train de rêver. Je m'efforce de me répéter que ce n'est qu'un leurre, mais la réalité me frappe. Béatrice lui tient la main, Gina également se tient à côté d'elle. Au bout de quelques minutes elle lève le regard sur la scène, sourit à son père, puis son regard vient captiver le mien. Ses yeux marron clair sont rivés aux miens. Ça a surtout l'air d'un duel, elle ne sourcille pas, elle a plus d'assurance dans son regard, et bon Dieu qu'est ce qu'elle est b...
  Je réussis à revenir à la réalité quand la salle se remplit d'ovations. Je me mets au même niveau que Gérard pour quelques photos, nous sourions tous les deux, il me serre la main et descend rejoindre son clan, et surtout sa perle précieuse. Je prends le chemin opposé au sien pour descendre. Emily m'attends déjà et m'embrasse. Ce baiser, je n'en voulais pas. Pas devant elle. Mon rythme cardiaque s'est accéléré mais je fais l'effort de garder mon sang-froid. Emily s'accroche à mon bras, pendant que quelques invités viennent me parler. Je les écoute à peine, j'ai envie... Non j'ai besoin de la regarder encore, pour m'assurer qu'elle ne disparaisse pas comme ça été le cas il y a quelques années. Je profite d'un moment de distraction d'Emily, pour jeter un œil dans sa direction, mais cette dernière se rend vite compte que j'ai tourné la tête. Elle m'interpelle.

- Bébé, tout va bien? ; demanda-t-elle.

- Oui, à merveille ma chérie. J'ai besoin de prendre un peu d'air. Excusez-moi.

    Sans attendre mon reste, je sors sur le balcon en ciment, un verre de champagne à la main. Je suis confus, pétrifié de peur aussi. J'en tremble même. J'avais appris de Nate qu'elle ne reviendrait plus jamais à New-York -- à mon plus grand désespoir -- j'avais réussi à m'habituer à son absence, et là elle revenait sans crier gare. Putain. J'ai besoin de l'approcher, de lui parler, de... l'embrasser. Je n'avais certes pas été le meilleur des partenaires, mais je sais qu'elle a été amoureuse de moi à un moment de notre relation. Du moins j'espère. Ce sentiment n'a pas pu disparaître en si peu de temps. Cinq ans. Elle a largement eu tout le temps de refaire sa vie, mais qu'est ce que j'en ai à foutre! Tout ce que j'ai à faire, c'est entrer, la chercher et lui poser la question moi même.
L'air frais passe sur mon visage, je ferme les yeux et je ne vois qu'elle. La plus belle femme que j'ai eu dans ma vie, que j'ai osé blesser et Dieu seul sait à quel point je regrette. Tant de fois, j'ai voulu prendre une semaine pour la rejoindre, pour m'expliquer. Pour la supplier. Mais hélas, mon égo surdimensionné avait toujours pris le dessus " Qu'est ce que j'en ai à faire, ce n'est qu'une de plus " me consolai je durant toutes ces années. Grossière erreur. Et ce soir elle était là, en chair et en os, pour me prouver qu'elle n'est pas un trophée. Elle, elle est tout simplement ce dont j'ai besoin, ma bouffée d'oxygène, Ann-Louise Parker. Sans tergiverser plus, je rentre à l'intérieur, à la quête d'un tête à tête avec cette femme qui me met dans tous mes états actuellement.

De la comédie Au réel...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant