XIX.

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     Nous étions attablés depuis le début de l'après midi, et les plats de viande fumants ne cessaient de défiler entre les tables. Le chef nous régalait avec ses multiples mets, et ma fille accaparait notre attention avec ses aventures à la maternelle. Installée sur mes genoux, elle nous contait tout en dévorant ses saucisses sa dernière journée de la semaine à l'école. Jordan semblait réellement intéressée par ses histoires. Au bout d'un moment, elle descendit de mes genoux pour rejoindre la table de Nate. Je la suivis du regard, avant de me recentrer sur mon assiette. J'avais évité Amir depuis que Bella m'avait fait part de son arrivée ; que ce soit un contact physique ou visuel, je n'en voulais pas. Et c'est ce qui venait de se passer encore une fois, Amir avait voulu profiter du fait que ma fille s'approche de leur table, et que je serais certainement en train de la regarder pour établir un contact. Grossière erreur.
Je continuais à jouer avec la nourriture dans mon plat, que je n'avais d'ailleurs pas touché.

- Tu n'as pas d'appétit on dirait ?; commença Jordan.

- Non pas vraiment ; avouai je en repoussant cette fois mon assiette.

- À quoi est-ce dû ? En général tu ne boudes pas les plats du chef Espenzi.

- J'en reviens pas que tu saches prononcer son nom; dis-je en essayant de changer de sujet.

- Poussin...; dit-elle pour me reprimander.

- Très bien. Le truc c'est que... Je suis tellement crevée. Et j'angoisse toujours pour la prochaine audience liée à l'adoption de Karly. J'ai peur qu'au final on aboutisse pas au résultat attendu.

- Si tu veux aboutir à ce résultat, commence par changer d'attitude. Ne sois pas si pescimiste. Pense à autre chose.

     Je ne pus m'empêcher de rigoler.

- À quoi voudrais tu que je pense, le projet pour lequel je me défonçais est en arrêt, ma fille n'est pas certaine d'avoir un nom de famille, et Amir...

    Je m'interrompis me rendant compte que j'en avais trop dit. Depuis que j'étais rentrée j'avais crié à qui voulait l'entendre que Amir était bien le cadet de mes soucis. Et là, je venais de sous-entendre qu'il avait bien plus d'importance à mes yeux que ce que j'avais prétendu.

- Quoi Amir?; s'enquit Jordan en se penchant vers moi.

- Ne fais pas attention à ce que j'ai dit, c'est la fatigue.

        Alors qu'elle s'apprêtait à renchérir, Bella revint à notre table un verre de champagne à la main.

- Vous parliez de quoi ?

- Oh rien... Juste que Annie vient d'admettre que Amir a de l'importance à ses yeux ; répondit Jordan en se redressant sur sa chaise.

- Enfin! Au fait Rosie, t'a remarqué qu'il ne la lâche pas du regard depuis qu'il est arrivé ?; répliqua Bella.

- Je crois bien que tout le monde l'a remarqué. Mais Ann-Louise continue à faire la fière.

- Elle ne va pas tenir longtemps, ces deux-là se comportent comme...

- Bon... Je n'ai rien à faire dans cette conversation. Je m'en vais rejoindre ma fille ; déclarai je en me levant de table.

        Je n'avais plus aperçu Nate à sa table, de même que Amir et Karly. En ce qui concerne Amir, peu importe où il pouvait se trouver je m'en fous pas mal, tant que c'est loin de moi. En revanche, la soudaine disparition de Karly ne me laissait aucunement de marbre.
   Un des serveurs me nota qu'il l'avait vu dans le parc à jeux, que mon père venait de faire installer. Celui-ci était assez loin du lieu où tous les invités mangeaient. Je l'aperçus jouant dans le bac à sable, je fus d'autant plus surprise que Amir l'accompagne dans son activité. Ils étaient tous les deux engagés dans la construction d'un château à mon avis. Dans d'autres circonstances j'aurais été ravie de voir l'homme que j'aime aussi attentionné envers ma fille. Mais après un rappel de sa dernière visite chez moi, et l'animosité dont il avait fait preuve en apprenant la nouvelle me firent presser le pas pour les rejoindre et éloigner au plus vite ma fille de lui.

- Karly mon cœur, viens !; dis-je en tendant une main à ma fille.

    Lorsqu'elle me vit, un sourire illumina son visage. Elle ne se fit pas prier pour me rejoindre. Je me baissai à sa taille pour mieux la regarder dans les yeux.

- Chérie, ce n'est pas bien de partir avec les inconnus ; lui dis-je après avoir jeté un rapide coup d'œil à Amir.

- Maman, Amir est l'ami de Nate. Et il m'a accompagné jouer; répliqua-t-elle enjouée.

- Peut-être mais... Je me suis quand même inquiétée. La prochaine fois tu vas voir Julianne avant d'aller avec quelqu'un, d'accord ?

- Oui maman. Tu veux venir jouer avec nous ?

- Non mon cœur, je suis venue te chercher parce que Mamie Béatrice t'a fait un gâteau à la fraise. Viens on y va.

- Ann-Louise... Un moment s'il te plaît.

      Amir venait de me stopper après que j'ai engagé mon retour vers les tables. Ma raison me hurlait de ne rien faire, et de continuer mon chemin, mon cœur lui était d'un autre avis. Je ne savais pas ce qui m'attendait, à vrai dire je ne voulais pas y penser ; le timbre doux de sa voix si grave avait eu raison de moi. Je demandai à Karly de retourner auprès de ses tantes, avant de me retourner vers Amir. Je rangeai mes mains dans les poches de ma combinaison de couleur violet avant de prendre la parole.

- Que tu viennes chez mon père le jour où j'y suis c'est une chose, mais que tu décides de t'isoler avec ma fille ça je ne le permets pas; dis-je en colère.

- Je comprends et je m'en excuse sincèrement.

       Je ne m'attendais certainement pas à ça. Au pire il aurait lâché une insulte comme la dernière fois sans aucune gêne. Mais des excuses, jamais Amir n'en faisait -- à moins d'être sa grand-mère -- et ça peu importe s'il avait tort ou raison. Il profita de ma surprise pour continuer.

- Et d'ailleurs, je m'excuse également d'avoir eu des propos déplacés envers toi. Je suis allé trop loin, et surtout que le moment était très mal choisi; avoua-t-il visiblement gêné.

- Et c'est peu de le dire; marmonai je.

- J'ai laissé ma jalousie prendre le dessus. Je... n'ai pas pu supporter l'idée que... quelqu'un d'autre t'ait... Arg! Rien que d'y penser ça me met hors de moi.

     Il se passa une main dans les cheveux avant de baisser les yeux sur ses chaussures. Amir était mal à l'aise. C'était bien la première fois que je le voyais dans cet état. Ne voulant pas le mettre plus mal qu'il ne l'était déjà, je pris la parole.

- C'est bon Amir, pas besoin de te faire violence. J'ai compris, à l'avenir ne t'amène pas chez moi sans invitation.

       Je voulus partir mais cette fois il me rattrapa et m'empêcha d'avancer.

- Je tiens à ce que tu saches Ann-Louise, que j'éprouve des sentiments pour toi. Tu peux me détester ou continuer de m'en vouloir pour ce que j'ai fait que ce soit il y'a 2 jours, ou cinq ans auparavant je ne t'en tiens pas rigueur. Je tenais juste à ce que tu le saches.

        Je restai scotchée par ce qu'il venait de dire. Amir venait réellement d'avouer qu'il avait des sentiments pour moi? Je cherchais dans son regard quelque chose qui viendrait infirmer ce qu'il venait de dire, tout ce que je pus y lire c'est un désespoir non camouflé. Pour une fois il ne se cacha pas derrière l'impassibilité qui le caractérisait dans ces moments, au contraire on peut dire qu'il mettait en ce moment même son cœur à nu. Mon mutisme ne sembla pas le blesser, où même le choquer.

- C'est normal que tu réagisses de cette manière. Puisque ce qui est dit est dit, je vais y aller. Je te souhaite réellement que Karly porte ton nom, vous le méritez toutes les deux. Au revoir Ann-Louise.

      Sur ces derniers il se tourna et partit en direction de la maison. Au revoir? Était ce un adieu. N'essaierait-il pas une dernière fois de me convaincre que nous étions faits l'un pour l'autre ? Au moment où mon cerveau comprit réellement le sens de ses mots, je voulus courir le rattraper lui hurler que moi aussi je l'aimais, voire bien plus que lui ne m'aimait. Mais je restai là, mes chaussures vicées au gazon, regardant l'amour de ma vie s'éloigner un peu plus de moi. À croire que les blessures du passé refusaient de se panser, m'empêchant ainsi de me laisser entrevoir un avenir avec Amir.

De la comédie Au réel...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant