XVI.

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     Je me figeai et regardai dans la direction de sa voix. Il était réellement là. Je n'avais pas imaginé entendre sa voix. La voix de Jack venait de résonner tel un tonnerre dans un orage. Un orage que j'avais provoqué par mon entêtement. Son regard passa tour à tour de Amir à moi, mais finit par se stopper durement sur moi. Alors que j'essayais de cacher ma gêne vis-à-vis de cette situation, Amir ne sembla pas gêné le moins du monde. Son attitude traduisait tout simplement de l'agacement. Il ne scilla pas d'un poil depuis que Jack était dans la pièce. Il était resté vicé à ma taille. Lorsque Jack reprit la parole, je me détachai de son étreinte, ce qui le poussa à maugréer.

- Alors c'est ça le travail qui te retenait aussi longtemps ?; hurla-t-il.

- Eh! Tu lui parles sur un autre ton; lança Amir dans mon dos lui aussi en train de bouillir de colère.

- Toi tu la fermes on ne t'a rien demandé !; hurlai je à mon tour, mais contre Amir. Jack... Ce n'est pas ce que tu crois, tout ceci est un malentendu.

- Malentendu ? Laisse moi rire, je dois avoir un "gros débile" sur mon front. Sais-tu au moins depuis combien de temps j'attends en bas? Je... qu'est-ce que... Tu me dégoûtes Ann-Louise ; lança t-il le visage déformé par la colère.

      À ces derniers mots, je me stoppai dans ma lancée de le retenir. J'étais choquée des mots qu'il venait d'employer à mon égard. C'était surtout de la surprise, mais je voulais réellement m'excuser de ce qu'il venait de se passer.

- Bon là tu as poussé le bouchon très loin, dégages d'ici.

     Amir s'était mis entre lui et moi tel un rempart. Il serrait les poings, signe que s'il ne s'exécutait pas, il l'y amènerait de force.

- Mais évidemment Mr Santiago. De toutes façons vous faites la paire.

     Sur ces mots il s'éloigna dans le couloir, et Amir le suivait du regard. Aussitôt fut il assez loin pour que nous ne le voyions plus, aussitôt j'entrepris de le suivre.

- Non mais où crois-tu aller comme ça ?; demanda Amir en me retenant par le bras.

    À cet instant, la colère des mots de Jack me revint. Il m'avait blessée, mais lui n'était qu'une victime, une victime de Amir. Comme je l'ai été autrefois. J'avais soudainement une envie de le blesser à mon tour, et je savais que aller à la poursuite de Jack l'enverrait au tapis, tout comme cette lueur d'espoir de réconciliation que je voyais briller dans ses yeux.

- Lâche moi !; dis-je en me dégageant d'un coup. Tu crois que parce qu'on a échangé un baiser ça y est, tout est rose tout est beau. Il y'a la paix dans le monde! Le monde ne tourne pas autour de toi Santiago. Et ce qui vient de se passer ici n'est pour moi qu'une... erreur de parcours et rien d'autre.

    Je pris mon agenda avant de me diriger vers la porte de la salle de réunion.

- Moi à ta place je ne me ferais pas de films, parce que je vais réussir à calmer Jack, et nous allons continuer notre relation, que tu le veuilles ou pas.

     Je courus donc à travers le couloir. Arrivée dans la salle d'attente de cet étage où nous empruntions les ascenseurs, je le vis qui attendait impatiemment le sien.

- Jack s'il te plait ne t'en vas pas. Nous pouvons en discuter... J'ai...

- Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir me dire que je ne sais pas déjà Ann-Louise ? C'est vrai quoi, je me suis efforcé de fermer les yeux sur cette attirance que tu avais pour lui, et je t'ai comblé d'amour. Mais visiblement ce n'était pas suffisant, parce que oui, moi je t'aime Ann-Louise.

- Je ressens la même chose, je t'assure ; dis-je en me rapprochant de lui.

- Quoi de l'amour ? De l'amour j'en ai vu dans cette foutue salle de réunion. Jamais tu ne m'as embrassé comme tu viens de le faire avec lui!; dit-il en repoussant la main que j'avais déposé sur sa joue.

- Jack... J'ai commis une erreur. Je m'en exc...

- Tu sais quel était l'objet de ce dîner ?

      Je secouai la tête négativement, tout en priant qu'il ne s'agisse pas d'une demande en mariage ; sinon Jack aurait dans tous les cas fini cette soirée le cœur brisé.

- J'avais prévu te présenter à ma mère et ma sœur. Tu nous as tellement fait attendre que nous avons dîné tous les trois. J'avais réellement vu en toi la femme de ma vie Ann-Louise.

- Jack...; soupirai je au bord des larmes.

- Si jamais tu m'aimes comme tu le prétends...

      La sonnerie de l'ascenseur signala qu'il venait d'arriver, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. "Le timing parfait pour rendre encore la scène plus dramatique". Me dis-je en sentant la fin inéluctable de cette idylle.

- Laisse moi tranquille, ne me cherches pas, ne me contacte pas et par pitié... Oublie moi Ann-Louise.

    Sans attendre son reste, il s'engouffra dans l'ascenseur dont les portes se fermèrent presque immédiatement. Je ne pus m'empêcher de laisser couler les larmes que j'avais retenu jusqu'à maintenant. Pourquoi pleurais je réellement ? Certainement pour avoir brisé le cœur de quelqu'un qui n'avait rien fait du tout.
   Dans un dernier effort, j'entrai dans le bureau de mon frère où je ramassai mes affaires avant d'aller prendre le prochain ascenseur. Au moment où les portes se fermaient, je le vis. Amir. Le verre de Cognac à la main, cette main dont le poing était ensanglanté. La dernière chose que j'apperçus avant que les portes ne soient totalement closes, ce sont les larmes qui roulaient sur ses joues. Ce soir tout le monde rentrerait chez lui le cœur lourd.

                         

                            ***

   
     Je n'avais revu, ni Amir ni Jack depuis cette soirée à l'entreprise. En ce qui concerne Jack, j'avais encore essayé de le voir mais sans succès. Je ne tenais pas particulièrement à cette relation, je voulais juste qu'il me donne l'opportunité de m'excuser. Du côté de Amir, il n'avait rien tenté du tout, ce qui était une bonne chose. Enfin, je crois. Depuis un mois déjà je n'avais plus remis pied dans sa société, et dès lors que je sentais qu'il y aurait un évènement où nous pourrions nous croiser, je ne m'y rendais pas. De même pour les dîners au manoir, qui se faisaient de plus en plus rares pour moi.
De cette solitude là, j'en profitais pour avancer dans mon projet. Depuis que j'avais entrepris ce dernier, je ne m'y étais jamais réellement impliquée. Mais depuis un mois, je suivais de très près l'avancée des tâches, et le délai qui leurs était alloué. Bientôt toutes les ailes seraient peintes, et nous pourrons commencer l'installation du matériel de travail.

     Aujourd'hui je devais visiter un orphelinat à Brooklyn avec Béatrice. À chaque fois qu'elle se rendait au Sacred Heart, je la suivais. En effet, il y avait une petite fille qui y avait été admise il y'a trois jours. Elle avait accaparé mon attention. Elle ne parlait pas beaucoup avec les autres, mais dès que nous arrivions, elle s'isolait avec moi pour que nous jouions avec la théière dont je lui avais fait cadeau lors de son arrivée. Karly n'avait que 4 ans. De ce que la directrice de l'établissement nous a dit, on l'avait retrouvée près d'un supermarché, inerte. Le médecin de ce petit édifice religieux, ne lui avait donné que les soins de première nécessité. Mais elle refusait de nous dire ce qui lui était réellement arrivé. Je m'approchai de Béatrice pour discuter un peu lorsque l'un des enfants hurla "Karly est tombée ! Karly ne bouge plus !".

     Je sentis mon cœur s'affoler et courus vers le jardin près de notre table. Je la vis qui ne bougeait réellement plus. Aussitôt j'eus l'impression que l'accident de Jordan se répétait sous mes yeux. Je cédai rapidement à la panique. Un des garde du corps me poussa doucement avant de porter le petit corps de Karly vers la voiture. Béatrice et la sœur Héléna me suivirent jusqu'au deuxième véhicule et nous nous rendîmes ensemble à l'hôpital. La peur qui m'animait sur le chemin de l'hôpital ne m'a jamais habité, quand bien même Jordan était sur le seuil de la mort. Non, celle-ci était bien au-dessus, j'avais peur pour la vie de Karly comme s'il s'agissait de ma fille.

De la comédie Au réel...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant